Les deux faces de Laurent Fréchuret
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Laurent Fréchuret est un caméléon qui passe avec aisance d’un univers à l’autre. En Avignon, il présente à la fois « Fin de partie », une pièce du répertoire pour quatre acteurs formidables, et « L’Infâme »de Simon Grangeat, une commande passée à un auteur. Deux réussites.
Fin de partie parle d’un futur qui nous échappe
On peut croire qu’on connaît par cœur cette Fin de partie et qu’une énième version ne nous enrichit pas beaucoup. Que nenni ! Beckett nous étonnera toujours. Cette fable sur des vies qui n’en finissent pas d’attendre, une mort inéluctable qui ne vient pas dans l’impuissance la plus totale, parle – il est vrai – beaucoup, à nos contemporains anxieux d’un futur qui leur échappe.
Le parti pris de Laurent Fréchuret est de mettre en lumière l’humanité de ces personnages sans gommer la noirceur du propos. Pour cela, il s’appuie sur quatre acteurs remarquables, ses complices à la scène. Christine Brotons et Thierry Gibault, dans le rôle des parents installés dans les poubelles de l’histoire qui attendent, impatiemment, leur bouillie – cruelle image – prennent soin l’un de l’autre et apparaissent finalement satisfaits de leur sort.
Maxime Dambrain, parfait en esclave résigné, pèse sans arrêt les avantages et les inconvénients de sa condition, conservant ainsi sa dignité. Jean-Claude Bolle-Redat tyrannise avec un plaisir évident parents et domestique. Il est ici extravagant de drôlerie et de méchanceté, bourreau décomplexé, enchaînant les répliques qui font mouche, premier public ravi de lui-même, de ses facéties cruelles et de son désespoir.
Merci à Laurent Fréchuret de nous faire redécouvrir les pépites oubliées et savoureuses de ce texte. Tout en nous faisant réfléchir sur notre cruelle condition et ce qui nous attend, il nous rappelle qu’il faut en rire et sortir avec élégance.
L’Infâme : comment fuir l’amour vampirique d’une mère ?
Avec l’Infâme, nous voici dans une histoire qui a été écrite par Simon Grangeat en lien avec des groupes de collégiens et de lycéens. L’héroïne en est une jeune fille, Tana, dont nous allons pénétrer l’intimité dans la chambre où elle s’est réfugiée pour fuir l’amour vampirique de sa mère. En cinquante minutes, elle va se libérer de cette emprise qui était en train de la rendre folle grâce à la découverte d’un métier suffisamment exigeant pour occuper ses mains et sa tête, et au soutien discret de sa maîtresse d’apprentissage. Grâce aussi à Apolline, adolescente solaire et pleine de vie.
Le personnage de Tana est puissant, Laurent Frechuret ne cache rien des crises qu’elle traverse et qui pourraient justifier une prise en charge psychiatrique. Elle parviendra pourtant à trouver l’apaisement et l’indépendance par l’accomplissement dans un métier d’art. L’atout de cette histoire de vie est qu’elle n’est pas univoque. Celui du spectacle est ce huis clos qu’illuminent deux jeunes comédiennes, Louise Bénichou, dans le rôle de Tana, et Alizée Durkheim-Marsaudon, dans celui d’Apolline. Toutes deux font preuve d’une présence étonnante et apportent à leur personnage une grande finesse et beaucoup de subtilité.
Un mot encore sur ce spectacle qui porte un regard délicat et subtil sur la question de l’emprise en choisissant pour l’incarner, non un énième mari violent, mais une mère trop possessive, une araignée à la Louise Bourgeois. 🔴
Trina Mounier
Fin de partie, de Samuel Beckett
Théâtre de l’Incendie
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Assistante : Lucile Lacaze
Avec : Jean-Claude Bolle-Redat, Christine Brotons, Maxime Dambrin, Thierry Gibault
Scénographie : Damien Schahmaneche
Lumière : Sébastien Combes
Costumes : Colombe Lauriot-Prévost
Maquillage coiffure : Françoise Chaumayrac
Durée : 1 h 40
La Scierie • 15, bd du quai Saint-Lazare • 84000 Avignon
Du 7 au 28 juillet 2023 (sauf les 12, 19 et 26), à 10 heures
De 10 € à 19 €
Réservations : 04 84 51 09 11
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici
Tournée :
• Du 10 au 13 octobre, La Comédie de Saint-Étienne, CDN (42)
• Du 18 au 20 octobre, TAPS, à Strasbourg (67)
• Le 18 novembre, La Comédie de Ferney-Voltaire (01)
• Le 22 novembre, Théâtre de Roanne (42)
L’Infâme, de Simon Grangeat
Théâtre de l’Incendie
Le texte est édité chez Les Solitaires intempestifs
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Assistante : Louise Forêt
Jeu : Louise Bénichou, Alizée Durkheim-Marsaudon
Avec la voix de Flore Lefebvre des Noëttes
Son : Pierre Lemerle
Lumières : Sébastien Combes
Durée : 50 mn
L’Artéphile • 7, rue du Bourg neuf • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2023 (relâche les 13 et 20), à 16 h 40
De 8 € à 16 €
Réservations : 04 90 03 01 90
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici
