« Finir en beauté », de Mohamed el‑Khatib, Théâtre Ouvert à Paris

Plateau théâtre

Drôle de deuil

Par Alicia Dorey
Les Trois Coups

Dans « Finir en beauté », l’auteur et metteur en scène Mohamed el‑Khatib interprète avec brio un pan de sa propre vie : le deuil de sa mère. Sous forme d’une fiction-documentaire incroyablement drôle et émouvante, il transforme un évènement brutal et définitif en matériau de création infini.

© Fonds de dotation Porosus / Anthony Anciaux
Mohamed el-Khatib © Fonds de dotation Porosus / Anthony Anciaux

« Acte de décès no 288. Le vingt février deux mil douze, à trois heures quinze minutes, est décédée 14 avenue de l’Hôpital Yamna Iouaj. »

C’est autour de la mort de sa mère que Mohamed el‑Khatib va agréger, à la manière de Roland Barthes dans son Journal de deuil, des fragments d’écriture qui vont lui permettre de retracer une histoire qui n’est pas celle de la défunte, mais celle du passage de l’enfance vers l’âge adulte. Sans jamais tomber dans le macabre ni dans le pathétique, Mohamed el‑Khatib supprime avec humour la frontière qui sépare l’interprète de son public, et tente de la replacer entre ceux qui ont perdu leur mère et ceux qui la perdront un jour. Pari réussi.

Une lumière crue inonde la salle. On se croirait dans une chambre d’hôpital, ce qui est loin d’être un hasard. Au centre, un écran de télévision est posé sur un petit meuble. À distance, des carnets, des feuilles volantes, un téléphone. Ce décor minimaliste désacralise la mort pour en faire un objet à la fois léger et anecdotique. Si l’on peut être choqué par ce côté désinvolte, le résultat est sans appel : une fois les frontières de l’intime abolies, on rit aux éclats en entendant cet homme nous raconter par le menu l’évènement le plus dramatique de sa vie. À travers un ensemble de traces écrites, allant du répertoire téléphonique aux conversations retranscrites sur des feuillets épars, on plonge avec une impudeur parfois coupable dans ce récit post mortem qui met l’humour au premier plan.

Nature de la marchandise : dépouille mortelle

Une pile de photocopies passe de main en main. Personne ne cache sa surprise, voire un certain embarras : au recto, l’acte de décès de la mère. Au verso, l’acte de naissance du fils. Chacun repartira avec son exemplaire, qui crée une connivence entre l’interprète et son public, et nous fait ressentir cette émotion collective si propre au théâtre. Cependant, rien de dramatique dans ce geste, tourné en dérision à la seconde qui suit : en raison d’une faute d’orthographe, le certificat ne sera jamais valide aux yeux de l’administration. Pourtant, le corps est bel et bien là, comme en atteste une photographie de la dépouille projetée sur le mur, en attente d’un transfert vers sa terre d’origine, le Maroc. L’ironie est partout, et le public ne peut s’empêcher de rire face à l’absurdité d’une terminologie bureaucratique qui désacralise ce corps empaqueté dans une malle de bois estampillée : « nature de la marchandise : dépouille mortelle de Mme Yamna Iouaj ».

Si la mort, thème omniprésent dans l’œuvre du metteur en scène, est tournée en dérision pendant les cinquante minutes que dure la représentation, on perçoit en filigrane une autre intention que celle de faire rire, plus subtile, celle de partager avec nous la rédemption d’un fils qui se reproche encore de ne pas avoir été à la hauteur. Au-delà de la souffrance liée à la perte d’une mère, c’est la reconstruction d’un fils qui nous est donnée à voir, et qui laisse poindre, par petites touches, de précieux moments d’émotion. Alors que l’on commençait presque à se sentir entre amis dans ce petit écrin intimiste qu’est le Théâtre Ouvert, l’interprète disparaît soudainement de la scène. Il ne reviendra pas, tandis que retentissent les premiers applaudissements. On comprend, avec une émotion infinie, qu’il s’agit ici d’une dernière manifestation de la beauté de l’absence. 

Alicia Dorey


Finir en beauté, de Mohamed el-Khatib

Texte et conception : Mohamed el-Khatib

Collectif Zirlib • 108, rue de Bourgogne • 45000 Orléans

Site : http://www.zirlib.fr/

Courriel : zirlib@yahoo.fr

Mise en scène : Mohamed el-Khatib

Avec : Mohamed el-Khatib

Un spectacle accompagné par L’L, lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création (Bruxelles)

Environnement visuel : Fred Hocké

Environnement sonore : Nicolas Jorio

Photos : © Mohamed el-Khatib

Théâtre Ouvert • 4 bis, cité Véron • 75018 Paris

Réservations : 01 42 55 74 40

Site du théâtre : http://www.theatre-ouvert.com/

Courriel de réservation : resa@theatre-ouvert.com

Métro : ligne 2, arrêt Blanche et ligne 13, arrêt Place-de-Clichy

Vendredi 19 juin à 20 h 30

Durée : 50 minutes

5 € | 3 € | entrée libre avec la carte T.O.

Reprise

Théâtre de Saint‑Quentin-en‑Yvelines • place Georges‑Pompidou • CS 80317 • 78054 Saint‑Quentin‑en‑Yvelines cedex

www.theatresqy.org

Spectacle mercredi 26 et vendredi 28 avril à 20 h 30, jeudi 27 avril à 19 h 30 et samedi 29 avril 2017 à 18 heures et 20 h 30

Tarif : 12 € à 22 €

Réservation au 01 30 96 99 00

À propos de l'auteur

2 réponses

  1. Bonjour
    J’habite en Iran et j’aimerais bien lire les pièces françaises et les traduire. Comment peux_je le faire? Renseignez-moi s’il vous plaît.
    Merci

  2. bonjour, merci de me dire s’il est possible d’obtenir le texte de « finir en beauté » ? en effet, éloignée géographiquement et très intéressée par le thème, je souhaiterais (au moins) le lire ! Merci

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