Focus 1, Festival Trottoir #1, Du Bitume et des Plumes, Besançon

Le-Probleme-a-mille-corps © Wayra-Photo

« Engagez-vous ! », qu’iels disent

Nouveau rendez-vous des arts de la rue à Besançon, Trottoir affiche des choix résolument politiques et populaires. Les spectacles de sa première édition interrogent la notion d’engagement : déambulation introspective sur notre capacité à dire non, révolte hilarante dans un lycée dystopique fou fou fou, devoir de mémoire ou explosive réunion militante… Une véritable école des luttes.

Ni le ciel menaçant, ni les temps politiques moroses n’ont découragé les spectateurs. Dans le quartier Battant, ils ont été mille à répondre à l’invitation du festival bisontin Du Bitume et les Plumes et de l’association L’Agitée. Il faut dire que la programmation promettait de secouer notre sentiment d’impuissance politique. Quelle méthode pour affronter les multiples fronts de la crise écologique, sanitaire, démocratique et sociale ? Faut-il hiérarchiser les combats ? Comment communiquer au sein d’un groupe aux priorités et affects divers ? Comment s’armer contre le rouleau compresseur du capitalisme ?

Le Collectif Ephémère, composé d’une belle collégiale d’artistes locaux, tente d’y répondre de façon chorale après une entrée en matière sur le puissant texte de Fred  Vargas : La Troisième Révolution. Le spectacle prend la forme d’une réunion militante. Tiraillements, encouragements, découragements, moyens de communication alternatifs, inclusivité, tentatives de retrouver de la puissance par le geste et la beauté… Chacun, chacune puise dans sa pratique personnelle d’activiste ou dans son quotidien pour dire ses révoltes et ses manières d’agir.

« Nos précieux engagements » du Collectif Ephémère © L’Oeil de Dom

L’intime sonne vrai et juste. On entend clairement et joyeusement les urgences, la volonté de dire, de faire… et les défis de l’horizontalité à travers le chant, la danse, l’adresse directe. Pas facile le collectif ! Un moment didactique et une mise en mouvement revigorante pour inviter à l’action.

S’opposer

D’effet de groupe, il est aussi question dans la Ronde, magnifique spectacle au carrefour de l’intime, de l’Histoire et de la mémoire. Les Fugaces se penchent sur l’année du choc : 2002, Le Pen au second tour des présidentielles. En ces temps-là, dans les rues, des manifestants horrifiés criaient NON. Parmi eux, un groupe de lycéennes inséparables auto-baptisé la ronde. Aujourd’hui, l’une d’elle se marie. Afin de lui rédiger un discours surprise, son amie Lou fouille dans la cave parentale à la recherche d’anecdotes de cette époque-là. C’est elle que l’on suit dans ce « mausolée de l’adolescence” où elle déniche un agenda, des photos, des disques et des posters. Que du banal, en apparence.

De prime abord, ce solo semble traiter d’un traumatisme national, la montée du FN, et de l’engagement politique lycéen. Mais, en embuscade, un drame plus intime et refoulé affleure. La déambulation qui repasse par les lieux et les objets du passé se mue subtilement en enquête introspective, puis en examen de conscience. Qui est cette Patty qu’on a oubliée ? Le déplacement figure les avancées de l’enquête. Les cartons de l’adolescence « parlent », font remonter à la surface des souvenirs pénibles à assumer. Au fur et à mesure des réminiscences qui envahissent l’esprit de Lou, la violence grandit. Avec elle, notre émotion va crescendo.

« La Ronde » des Fugaces © L’Oeil de Dom

Battre le pavé en bande pour s’opposer à Le Pen ? Facile ! Mais dans notre cercle immédiat, savons-nous dire non et faire preuve de sororité ? Ce spectacle à tiroirs subtilement construit vient percuter nos propres souvenirs scolaires. Le jeu de la comédienne Cécile  Le  Meignen, plutôt léger et déclamatoire au départ, sonde peu à peu la culpabilité avec nuance. La création sonore joue admirablement d’une multiplication de voix.

La scénographie est également une réussite : à plusieurs reprises, elle transforme la rue : espace mental ou lieu de manif, en écho au spectacle précédent. Voilà une proposition artistique très forte sur les effets de groupe et la difficulté à accueillir la différence. Essentielle, même. À faire circuler dans tous les collèges et lycée.

S’échapper, inventer, refuser les assignations

Le Problème a mille corps n’est « pas un conte pour momichiards », pas une histoire réchauffée, mais une épopée dystopique « dans un monde tout pété ». Elle débute dans un lycée (à peine) futuriste, un établissement « deep côté dans le Réseau », soutenu par le ministère de l’instruction et des solidarités. C’est un lieu de dressage, où la dissidence débute involontairement, par accident. Holly noie un poupard en plastique, une truie défonce le portail de l’école, et les voilà embarquées avec June, une influenceuse sexy et ses followers dans une folle aventure anti-spéciste.

« Le Problème a mille corps » de Jana Remond © L’Oeil de Dom

Ce théâtre qui kicke le monde d’après, le Xanax, le fast-food, comme le thé détox, le green washing, comme l’obsession sécuritaire, ou encore l’identité, est fluide. On y rencontre des êtres androgynes, des volatiles qui parlent, une fille en apparence légère qui sait hacker le système. Ici, le militantisme prend le détour habile de la fiction, mais surtout de l’inventivité de la langue. Ce texte tout nouveau tout chaud est écrit au cordeau-molotov par la prometteuse Jana Rémond. Il regorge de trouvailles délicieuses, d’envolées lyriques pas culcul la praline. Une écriture à découvrir absolument. Elle est servie par quatre comédien·nes bien vénères et tout terrain, en frontal, avec un caddie débordant de bric-à-brac pour seul soutien. Le personnage d’A’ma, nourrice prophétesse vaut son pesant de nuggets. Tout ça est pimpé et rythmé par le metteur en scène Guillaume Fulconis. Du post apo pas teubé, bien envoyés, bien chargé !

Le discours sur l’usage des animaux, des réseaux sociaux, du corps des femmes est particulièrement fin et adroit, comme l’ensemble de la programmation de ce festival. Une grande palette de formes « rue », des spectacles issus des talents régionaux et nationaux, du rire et de l’émotion qui servent des valeurs de solidarité et d’émancipation… De quoi nourrir agréablement un public avide d’histoires de petites victoires. 🔴

Stéphanie Ruffier


Nos précieux engagements, du Collectif Ephémère

Porté par la Compagnie Valkyrira, dans le cadre de l’année du « Monde du travail et des luttes sociales »
Mise en scène : Sandrine Bouvet
Conception et interprètes : Sandrine Bouvet, Lilia Abaoub, Daphné Amouroux, Charlotte Dumez, Selin Kaytmaz, Daniel Ratte, Valérie Alcantara
À partir de 12 ans
Durée : 1 h 10

La Ronde, de Laura Dahan

Le texte est auto-édité par Les Fugaces
Écriture, mise en scène : Laura Dahan
Interprétation, collaboration artistique et à l’écriture : Cécile Le Meignen
Création régie et exploitation : Servan Dénès
Création sonore et costumes : Julie Honoré
Scénographie : Éléonore  Josso
Médiation de rue, assistanat à l’écriture, à la régie et indispensable couteau-suisse : Mélisse Nugues-Schönfeld
Composition musicale : Thomas Le Saulnier
Composition et écriture « Toute seule à côté de la ronde» : Muriel Lefebvre
Aide à l’écriture scénaristique : Hadrien Touret
Avec les voix de : Cindy Bossan, Clémence Viandier, Julia Lepère, Anne D’Almeida, Youna Noiret, Maewenn Deffains, Laetitia Deffains, Hélio Damas, Yanis Grégoire, Clovis Gautier
Tournée :
• Le 20 mai, Festival d’Olt, au Bleymard (48)
• Le 4 juin au festival Parade(s), à Nanterre (92)
• Le 24 juin au festival Vivacité, à Sotteville-Les-Rouen (76)
• Le 8 juillet au festival Sorties de bain, à Granville (50)
• Du 19 au 23 juillet au festival Chalon dans la rue, à Chalon-sur-Saône (71)
• Du 21 au 27 août, festival Éclat, à Aurillac (15)

Le Problème a mille corps, de Jana Rémond

Création spéciale Bitume réunissant des artistes de quatre compagnies franc-comtoise différentes
Mise en scène : Guillaume Fulconis
Avec : Charlotte Dumez, Gaëlle Hauger, Rémi Lapoulpe, Marion Plaza

Trottoir • Quartier Battant • 25500 Besançon
1ère édition, les 22 et 23 avril 2023
Dans le cadre du Bitume et des Plumes, en association avec l’Agitée
Plus d’infos ici
Gratuit

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Focus 2, Festival Trottoir #1, par Stéphanie Ruffier

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