Des racines, des ailes… et un coup de cœur
Par Laura Plas
Les Trois Coups
« Occitanie fait son cirque en Avignon » propose cette année un programme touffu, sorte de séance de rattrapage des rendez-vous ratés. C’est l’occasion de faire un tour d’horizon de la création circassienne : des questionnements sur les racines, des envols et la découverte d’une pépite : « Mousse ».
Ras le bol de la touffeur d’Avignon, de ses prix excessifs, de son « entre soi » culturel ? Venez prendre un bol d’air frais, de l’autre côté du fleuve. Sur l’île Piot, le pôle cirque de la Verrerie d’Alès a une fois encore réuni une grande famille : pas moins de treize spectacles, avec une alternance sur la période du festival off, et un espace convivial pour manger, débattre, se reposer. Il y en a vraiment pour tous les goûts.
Honneur à la jeunesse. Elle pourra découvrir Je suis tigre, fable humaniste du groupe Noce. Mêlant acrodanse, dessins et musique, le spectacle sollicite les sens et tient en éveil les plus petits. Court et économe de texte, il est calibré pour eux. D’ailleurs, l’adulte regrettera peut-être de si peu profiter des qualités de l’écriture d’Aurélie Namur. Le spectacle se met même à hauteur d’enfant, au sens où la narratrice en est une petite fille qui se lie d’amitié avec un petit garçon venu d’ailleurs. Ses « pourquoi ? » défont les barrières dressées par les adultes. Le dessin permet à la fois de suggérer le passé douloureux de l’exilé et de laisser place à l’imagination. D’ailleurs, il est si réussi que l’on est tenté de ne plus accorder assez d’attention à l’acrodanse, pourtant très maîtrisée. Un spectacle en tout cas testé et approuvé par les enfants de la salle.
Racines, mâts, mousses
De racines, il est aussi question dans deux spectacles pour adultes cette fois, dont les esthétiques sont fort différentes. D’un côté, Mektoub, de la compagnie La Nour se présente comme un stand-up de cirque. Il met en scène une interprète, metteuse en scène confrontée à des avatars encombrants d’elle-même. Chacun offre un type, voire un stéréotype d’une femme aux racines maghrébines qui tente de l’enfermer, de l’empêcher de s’aimer. Le propos est généreux mais convenu et le spectacle peine à trouver sa forme. C’est comme si les tiraillements sur l’identité se traduisaient sur le plateau, ce qu’explicite d’ailleurs l’interprète. On le conseillera donc plutôt aux amateurs de stand-up car il écrase la dimension circassienne.
C’est tout le contraire pour Ikuëman, beau spectacle acrobatique et chorégraphique, organisé autour de cinq mâts. La maîtrise de ses interprètes est époustouflante. Elle est encore magnifiée par la finesse de la création lumière qui parvient à instiller une atmosphère de transe, et même à composer une rythmique. Ce rythme, écho à une puissante création musicale, est celui de la marche des sans-terres, des exilés. Il est fait d’élans et d’affaissements, de hauts et de bas qu’évoquent justement les figures réalisées sur les mâts. Rien n’est explicité, on fait appel à nos imaginaires. Les acrobates font ainsi penser à des notes accrochées à des portées verticales, leurs mouvements ont la grâce de la danse. C’est un travail fin et collectif dont les interprètes sont épatants et qui produit une sorte d’envoûtement.
Mais sans conteste, la pépite de cette journée est Mousse, de la compagnie belge Scratch. Cette inclassable fantaisie est souvent saugrenue, délicieusement inventive, tant dans sa dramaturgie que dans son rapport au langage. Cet art du décalage permet au jonglage de se réinventer, au spectacle d’échapper aux cages génériques. Il rend aussi difficile sa description. Disons que Mousse est fait de peu de matériaux mais de beaucoup d’intelligence et d’humour. Que jouant sur l’autofiction et le rapport au public, il crée l’interrogation. Disons encore qu’on ne sait jamais où on va, égayés par l’espoir des surprises, mais qu’on y va en très bonne compagnie avec deux interprètes qu’on a du mal à quitter : des gens qui doutent, des gens dont on a fredonnés les chansons. Un spectacle atypique qui orchestre sur une scène la rencontre de Jean-Jacques Goldman, Anne Sylvestre et Raymond Devos. Véritablement charmant ! ¶
Laura Plas
Focus Occitanie fait son cirque en Avignon
Je suis Tigre, du Groupe Noce
Texte : Aurélie Namur
Mise en scène : Florence Bernad
Dessin : Anaïs Massini
Musique : Nantho Valentine
Avec : Maria Pinho (acrodanse), Mohamed Nahhas (acrobate)
Durée : 40 minutes
À partir de 6 ans
Du 8 au 25 juillet 2021 à 10 heures, relâches les 11, 15, 16, 17 et 22 juillet
Mektoub, de la Compagnie La Nour
De et avec : Mounâ Nemri
Regard extérieur : Maël Tebibi
Durée : 50 minutes
À partir de 7 ans
Du 8 au 25 juillet 2021 à 14 heures, relâches les 11, 15, 16, 17 et 22 juillet
Ikuëman, de la Compagnie du Chaos
Auteur et chorégraphe : Rafael de Paula
Avec : Béa Debrabant, Joana Nicioli, Harold de Bourran, Rafael de Paula, Ward Mortier
Durée : 50 minutes
À partir de 6 ans
Du 8 au 25 juillet 2021 à 11 heures, relâches les 11, 15, 16, 17 et 22 juillet
Mousse, de la Compagnie Scratch
Aide à la mise en scène : Bram Dobbelaere
Avec : Gaëlle Copée, Denis Michiels
Durée : 50 minutes
À partir de 6 ans
Du 8 au 25 juillet 2021 à 12 heures, relâches les 11, 15, 16, 17 et 22 juillet
L’Occitanie fait son cirque en Avignon • 22, chemin de l’Île Piot • 84000 Avignon
De 6 € à 16 €
Réservations : 05 55 00 98 36
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