Dans la boue mais debout !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
L’air du temps souffle toujours sur Avignon. Trois spectacles : « Yourte », « Échos ruraux », « Nous étions debout et nous ne le savions pas » mettent en scène un monde rural en souffrances ou en luttes. Deux belles propositions sincères et une farce dynamique mais assez superficielle.
Vous cherchez un spectacle « boîte de nuit » où la musique fait boum boum, où les comédiens dansent, courent sans répit ? Vous trouvez que non mais sans blague, la vie en communauté, c’est un délire de babos ! Vous venez à Avignon pour vous payer une bonne tranche de rigolade « pas prise de tête » : « Yourte » pourrait faire votre bonheur.
À la tête d’une compagnie de jeunes comédiens fringants qui campent volontairement des personnages assez caricaturaux (radiesthésiste illuminée, zadiste violent, cadre dynamique repenti…), Gabrielle Chalmont signe une mise en scène sur-vitaminée dont la scénographie amusante, les allégories originales sont au service du divertissement. Qu’on ne soit donc pas leurré par les références affichées (Pablo Servigne, Pierre Rahbi…), il ne s’agit pas ici de réfléchir, ni de remettre en cause quoi que ce soit. Cela fera assurément le bonheur de certains.
Peut-être que ça ne suffit plus d’écrire des textes
Les autres pourront découvrir la pièce de Catherine Zambon : Nous étions debout et nous ne le savions pas, mise en scène par Pierre Lambert. Ce spectacle offre un kaléidoscope de vues sur les révoltes du monde rural, comme celles de zadistes, de villageois ulcérés par une « usine à cochons », celles d’un père dégoûté par l’éducation qu’il a donnée, ou celle d’un homme qui se demande si ce n’est pas son fils qui est mort à Sivens… Catherine Zambon a su recueillir les témoignages divers de chacun, les tisser telle une rhapsode. Loin de toute outrance, elle réussit ainsi à associer vraisemblance et poésie, émotion et humour.
Non contente de s’interroger sur la vanité de l’écriture face à l’action, elle questionne, par ailleurs, le statut de spectateur : peut-on se contenter de regarder le désastre sans monter sur la scène pour changer enfin les choses ? Elle ose encore remettre en cause la violence policière et les caricatures que les médias déblatèrent sur les contestataires. C’est dire si elle fait écho à notre actualité.
Son texte est servi par cinq comédiens généreux, qui changent habilement de registres, passent d’un personnage à un autre sans jamais donner l’impression de mépriser ceux qu’ils incarnent. Sincères, ils s’adressent à nous, comme à ces amis que leurs personnages ont rencontrés dans leurs luttes. Ils sont dirigés et mis en scène avec fantaisie et efficacité par Pierre Lambert, ce qui fait oublier les ressources limitées qu’offre la régie à Présence Pasteur. De peu, on fait beaucoup ici. Et le spectateur tour à tour amusé ou ému, sort peut-être un peu rasséréné, prêt à se tenir debout pour défendre ce en quoi il croit.
L’un reste, l’autre est parti
Si la tonalité d’Échos ruraux est plus sombre, puisque la pièce évoque la déréliction du monde paysan, on y retrouve cette certitude que la seule issue est collective. Opposés, un frère resté à la campagne et sa citadine de sœur se retrouvent ainsi unis pour faire vivre leur ferme. Autour d’eux une communauté villageoise dépeinte avec talent dans une écriture chorale se soude peu à peu pour leur apporter du soutien face à l’adversité et à l’abandon des services publics.
La Compagnie des Entichés a l’art de proposer une réflexion politique d’actualité (sur la souffrance des paysans ou des maires de communes rurales, sur la disparition des services) sans nous faire la leçon. De fait, nous suivons des histoires concrètes et individuelles qui sonnent d’autant plus juste qu’elles sont portées avec conviction par les comédiens (après un petit quart d’heure de rodage). Et lorsque le premier chœur laisse place à des moments de silence et d’intimité, ce qui arrive heureusement assez vite, les échos ruraux parviennent mieux à nos oreilles. On peut alors apprécier à sa juste valeur une mise en scène pleine de trouvailles, un travail pertinent sur le son et la lumière, des acteurs engagés et à l’écoute du monde. ¶
Laura Plas
Yourte, de Gabrielle Chalmont et Marie-Pierre Nalbandian
Mise en scène : Gabrielle Chalmont
Avec : Claire Bouanich, Bastien Chevrot, Sarah Coulaud, Louise Fafa, Maud Martel, Jeanne Ruff, Hugo Tejero, Benjamin Zana
Durée : 1 h 40
À partir de 13 ans
Théâtre des Lucioles • 10, rue du rempart Saint Lazare • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
Du 5 au 29 juillet 2019, du mercredi au lundi à 22 h 30, relâche les mardis 9, 16 et 23 juillet
De 10 € à 18 €
Réservations : 04 90 14 05 51
Nous étions debout et nous ne le savions pas, de Catherine Zambon
Mise en scène : Pierre Lambert
Avec : Arno Feffer, Sarah Glond, Stéphane Hervé, Raymonde Palcy, Bérengère Steiblin
Durée : 1 h 25
À partir de 15 ans
Théâtre Présence Pasteur • 13, rue du Pont Trouca • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
Du 7 au 27 juillet 2019, du mardi au dimanche à 12 h 20, relâche les lundis 8, 15 et 22 juillet
De 12 € à 17 €
Réservations : 04 32 74 18 54
Échos ruraux, de Mélanie Charvy et Millie Duyé
Mise en scène : Mélanie Charvy et Millie Duyé
Avec : Aurore Bourgois Demachy, Charles Dunnet, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Aurélien Pawloff, Romain Picquart, Loris Reynaert
Durée : 1 h 15
À partir de 12 ans
Théâtre du Train Bleu• 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Dans le cadre du Off d’Avignon
Du 4 au 24 juillet 2019, jours pairs à 10 heures
De 13, 50 € à 19, 50 €
Réservations : 04 90 82 39 06
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Dans les ruines d’Athènes, du Birgit Ensemble, par Bénédicte Fantin
☛ Richard III, d’après Shakespeare, par Sylvie Beurtheret