Vénus : sévices et services
« Venise, récit chanté d’un corps », comédie musicale atypique, et « Si Vénus avait su » entre fiction et documentaire, sont des spectacles sur le corps : les soins qu’on lui apporte, les rapports qu’on a avec lui. Deux propositions originales.
Dans le splendide Monte Cristo de la cie La Volige (lire notre critique), elle était la voix poignante de Mercedes. On avait été saisi par la beauté de son chant. Voilà cette fois Fanny Chériaux sur le devant de la scène avec Venise, récit chanté d’un corps. Car le corps en question est le sien. Elle nous en conte les mésaventures dans une forme totalement insolite qui oscille entre chant, jeu et… danse. Elle est accompagnée de deux danseurs, version parodique et féministe de claudettes !
Quelle histoire est-elle à la fois aussi intime et aussi universelle que celle de nos corps ? Au masculin et dans le domaine romanesque, Pennac nous a d’ailleurs livré le riche Journal d’un corps. Fanny Chériaux nous en offre ici une passionnante version dramatique et féminine. Enfin féminine… Il faut bien du temps pour se dépendre de la parole d’hommes, des images d’hommes sur le corps des femmes. C’est ce que montre précisément le spectacle. La confrontation entre images d’archives familiales et extraits de films, une signature de la Volige, est sur ce point édifiante. Avec un tel décalage entre fantasme masculin et réalité féminine, comment pourrait-on s’accepter ? L’épopée du corps féminin devient donc un périple malheureux en terre étrangère.
Vous chantiez, et bien dansez maintenant
Justement le spectacle peut faire parfois songer à une soirée diapos. Un peu éclaté, il enchaîne de multiples anecdotes. Si on devine un fil chronologique, la trame en est trouée par la pudeur. Malgré tout, la soirée est bien agréable. La belle voix atypique de la chanteuse nous propose des compositions originales dont les paroles sont accessibles et pleines d’humour. La présence des danseurs, des hommes bien déconstruits, est très fraîche. Le côté parfois illustratif de leurs interventions est contrebalancé par d’heureux décalages comiques.
La scénographie est colorée, le propos aussi libérateur que le rire, aussi sincère et culotté que les interprètes en fin de spectacle. Comme ça fait du bien ! Alors, les filles, les gars, plutôt qu’une toile ou une soirée karaoké qui vous feront vous détester, venez vous trémousser, danser sur Venise, récit chanté d’un corps ! Atypique, comme son interprète, le spectacle serait d’ailleurs peut-être encore plus fort s’il devenait un dancing spectacle.
« Si Vénus avait su » : amour, soin et beauté
Exhumer de l’l’Histoire les récits dominés, porter sur scène des gens qui n’y sont guère, tels sont les axes de travail de la compagnie Nova. Cette fois Margaux Eskenazi met en scène le monde inconnu des socio-esthéticiennes. On peut écrire « esthéticiennes » au féminin, puisque la profession se situe au croisement de deux domaines hyper genrés : le care et la beauté. Vénus sort donc de sa coquille nacrée pour débarquer dans les territoires dévastés des Ehpads, des soins palliatifs.
Tous, nous vieillissons ou connaissons des gens malades. C’est pourquoi le spectacle touche. Il n’est pas sans défauts, car certains passages sont trop poétiques pour s’incorporer totalement à la matière documentaire de la pièce et la pièce a parfois un côté fourre-tout. Mais ses parties documentaires font mouche : Eulalie nous raconte la rencontre à tomber par terre de sa mère avec la beauté. Un homme accompagne la femme qu’il aime lorsqu’elle perd ses cheveux. Une socio-esthéticienne aide un fils à retrouver l’élégance de son père, plongé dans le coma.
Ce que le spectacle parvient à nous faire ainsi saisir, c’est que le soin de l’apparence n’est pas une coquetterie, mais un besoin essentiel, une façon de refuser d’être dépris de soi par la maladie ou la machine hospitalière. Il le fait de manière humaine en apportant beaucoup de soin, justement, au rapport avec le public, en le prenant réellement en compte. Il le fait en articulant un propos souvent dur à la beauté d’une scénographie légère : des lumières, des voiles, des couleurs. Portés par des interprètes convaincants, surtout dans les parties réalistes, Si Vénus avait su alterne moments d’émotion, ponctuations comiques et participations du public. De cette manière, le propos délicat et parfois âpre devient audible : on prend aussi soin de nous. 🔴
Laura Plas
Venise, récit chanté d’un corps, de la cie La Volige
Site de la compagnie
Texte : Fanny Chériaux
Mise en scène : Nicolas Bonneau, Fanny Chériaux
Avec : Fanny Chériaux, Thomas Couppey, Sébastien Dalloni
Durée : 1 h 15
Dès 13 ans
Le 11 . Avignon • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 2 au 21 juillet 2024 (sauf les lundis 8 et 15), à 17 h 10
De 10 € à 22 €
Réservations en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
Tournée :
• Le 21 novembre 2024, Le Strapontin, Pont-Scorff (56)
• Le 14 mai 2025, Festival des Arts du Récit, Saint-Martin-d’Hères (38)
Si Vénus avait su, de la cie Nova
Site de la compagnie
Texte et conception : Sigrid Carré Lecoindre
Mise en scène et conception : Margaux Eskenazi
Avec : Chloé Bonifay, Laurent Deve, Dana Fiaque
Durée : 1 h 35
Dès 15 ans
Le 11 . Avignon • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 9 au 21 juillet 2024 (sauf les lundis 8 et 15), à 21 h 30
De 10 € à 22 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Qui va garder les enfants », Nicolas Bonneau, Fanny Chériaux, par Laura Plas
☛ Focus La Mémoire de leurs père (France, Algérie), Avignon Off, par Laura Plas
Photos :
• Une : « Si Vénus avait su », La cie Nova © Loïc Nys
• Mosaïque : « Venise, récit chanté d’un corps », cie La Volige © Pauline Le Goff