Des femmes fortes
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Les femmes sont toujours bien représentées au Chainant Manquant. Parmi nos découvertes, trois ont notre faveur cette année : la chorégraphe Leïla Ka, qui mène la danse, tandis que la chanteuse Maria Dolorès nous épate et que l’humoriste Marina Rollman nous a beaucoup fait rire.
Leïla Ka : solo monumental
Pour sa première création, Leïla Ka mêle les genres dans une chorégraphie intense. Seule sur scène face au public, sa présence est incandescente. Elle brûle littéralement les planches. Entre postures singulières et mouvements saccadés, ses membres se heurtent. Après une lutte acharnée, la jeune femme finit par s’effondrer, mais pour mieux évoluer. Sous le tutu, un survêtement et des baskets. Elle a joué des coudes. Elle bouge à présent les lignes. À cette danse brute succède alors un tourbillon hypnotique. Tel un derviche tourneur, Leïla Ka est en quête. Cherche-t-elle, comme dans une cérémonie soufi, à atteindre la source de toute perfection ? En tout cas, son élévation confine au sublime.
Que se trame-t-il derrière ce chignon tiré à quatre épingles ? S’agit-il d’une danseuse classique au corps brisé ou bien d’une breakeuse contrariée ? Entre rage et envolées lyriques, une souffrance s’exprime : la réalité, intime et sombre de l’artiste qui se cherche, celle d’un corps qui s’isole jusqu’à se trouver.
Troublante, Leïla Ka bouscule nos repères, même pour les amateurs de danse contemporaine et de hip hop qu’elle déconstruit, intégrant capoeira et danse orientale. Ce profil atypique est loin d’être une ballerine dans sa boîte à musique ! Entrée dans la danse par les portes du hip hop, interprète chez Maguy Marin pour May B, Leïla Ka danse en fait la difficulté d’être soi.
Aujourd’hui, elle est libre et est elle-même. Avec Pode Ser, elle livre le témoignage poignant d’une jeune femme qui, avec force et inventivité, se réapproprie et détourne les codes, les registres et les esthétiques pour s’affirmer. Une étoile naît donc sous nos yeux. Le propos est fort et son interprétation magistrale. Le format est court (17 minutes) mais l’émotion intense. Cet instantané a la puissance d’un uppercut et d’une révélation.
Maria Dolores : une diva du tango qui divague
Maria Dolores a le tango dans le sang. Elle le chante, le danse, le raconte, avec humour et passion. Mais il ne faut pas s’attendre à la diva classique et à l’histoire traditionnelle. Elle a du coffre et de quoi dire : « J’ai 22 ans… d’expérience », annonce-t-elle d’emblée, mais Maria Dolores détone. Et déconne aussi beaucoup !
D’airs susurrés en milongas des exilés, on parcourt les trottoirs de Buenos Aires. Toutefois, entre deux morceaux, elle n’hésite pas à sortir son sac Liddle pour sa pause casse-croûte et à sortir son cubi’ de blanc (« pour pallier aux carences en globules blancs », se justifie-t-elle). Son histoire du tango est la sienne, décalée et gonflée. Elle ose, sans détours. Orgueilleuse, jalouse, hystérique, de mauvaise foi, raciste, elle est épouvantable.
Personnage à la Almodovar, elle n’a pas le goût des demi-mesures et « s’en tamponne le coquillard » : « Le tango tape sur le système au bout du moment », reconnaît-elle. Alors, elle s’empiffre, s’empêtre, s’éparpille, rouspète et roupille, s’époumone et s’épanouit avec son Pupuce, le bandonéiste, évidemment. Puisque le tango est la langue de la passion où fusionne l’amour avec ses joies et ses peines, Maria Dolores partage soupirs et soubresauts, mais confond sensualité et vulgarité.
On ne lui en tient pas grief. Elle est irrésistible et Lou Hugot nous scotche par son tempérament. Chant, mise en scène et divagations, elle assume tout et elle assure. On passe donc un excellent moment en sa compagnie et celle de l’Amapola Quartet (violon, piano, contrebasse et bandonéon), des musiciens excellents, des interprètes complets, qui se prêtent volontiers au jeu, s’amusent et nous font entendre des morceaux divins. Alors les spectateurs, dont Maria Dolores embrasse le quart à la fin, est emballé !
Marina Rollman : désopilante !
Inconnue il y a encore un an, Marina Rollman, jeune humoriste suisse de 30 ans, s’est fait connaître sur France Inter. Elle écume les festivals en Suisse, en France et outre-Atlantique. Elle est ainsi passée par Montreux ou le Djamel Comedy Club, a assuré les premières parties de Gad Elmaleh. Avec son premier stand-up, le public peut la découvrir sur scène. Elle faisait sa rentrée à Laval. « Je ne suis pas très en forme », s’excuse-elle. Même en fin de soirée, elle a pourtant fait un tabac.
Avec un titre pareil (Un spectacle drôle), elle n’a pas le droit à l’erreur. Mais sa verve à cent à l’heure et sa vision du monde bien trempée fait mouche. Durant une petite heure, Marina Rollman y aborde tous les sujets avec un ton unique mêlant malice et ironie. C’est intelligent et fin. Efficace.
L’humoriste livre des observations piquantes sur notre quotidien, sans omettre d’aborder des sujets plus profonds. Qu’il s’agisse de sa propre dépression (« Y’a des jours où t’as envie de mourir, mais t’as trop la flemme. Moi ça a duré 5 ans »), ou de sujets sociétaux tels que le racisme, l’écologie, le féminisme, chaque fois son humour tape dans le mille. Quand elle ne parle pas de l’ignorance des hommes en matière de plaisir féminin, elle pointe le sexisme des pubs. Espiègle, elle épingle notre époque et tourne nos mœurs en dérision. Ses fixettes : l’auto-entrepreneuriat, la malbouffe, ou encore le crossfit, très en vogue dans les salles de sport.
Ses sketches sont très écrits mais, sincère, elle insiste sur nos contradictions, livrant en pâture ses remords d’omnivore, par exemple. Son débit étant aussi rapide que le Lystria, on s’accroche pour ne pas louper un wagon. Sans virgule, ni points de suspensions, on regrette parfois de ne pouvoir saisir le sens de toutes les digressions. Car Marina s’emballe, fuse, veut dire toute ce qu’elle a sur le cœur. Toutefois, même à minuit, après avoir vu beaucoup de spectacles, on retient l’essentiel : la nécessité de rire de tout, même du pire ! ¶
Léna Martinelli
Pode Ser, de et avec Leïla Ka
Lumières : Laurent Fallot
Tout public à partir de 6 ans
Durée : 17 minutes
Théâtre de Laval, le 19 septembre 2019
Dans le cadre du Chaînon Manquant, 28e édition
Du 17 au 23 septembre 2019
Tournée
Le 2 avril 2020, à l’Espace 1789, scène conventionnée danse de Saint-Ouen, dans le cadre du Festival Séquence Danse Paris (Programmation Centquatre hors les murs)
Maria Dolores y Amapola Quartet
Site ici
Chant, textes, mise en scène et déviances : Maria Dolores
Bandonéon, arrangements : Michel Capelier
Contrebasse : Christophe Dorémus
Violon : Ariane Lysimaque
Piano : Sandrine Roche
Durée : 1 h 10
Tout public à partir de 10 ans
Chapiteau, le 18 septembre 2019
Dans le cadre du Chaînon Manquant, 28e édition
Du 17 au 23 septembre 2019
Tournée en cours
Un spectacle drôle, de et avec Marina Rollman
Site de l’artiste ici
1 heure
Chapiteau, le 18 septembre 2019
Dans le cadre du Chaînon Manquant, 28e édition
Du 17 au 23 septembre 2019
Tournée en cours
À partir du 24 septembre au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, les mardis et mercredis à 21 heures