Les généreuses de la Factory
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Qu’on joue, chante ou danse, on cultive la fraternité Salle Tomasi. « Ex-odes » est un récital théâtral chaleureux et humaniste. Quant à « L’Exercice du super héros », hybride joyeux de danse et de théâtre, il nous fait partager avec générosité et malice une histoire de théâtre en milieu scolaire.
« Ex-odes » : le chant en héritage
Envie de changer, d’aller voir autre chose que du pur théâtre ? Si vous aimez les chansons et les histoires vraies, Ex-Odes vous plaira peut-être. Voici un spectacle à la première personne, fait pour être goûté en proximité, comme dans la salle Tomasi.
Matías Chebel nous parle effectivement de lui jusqu’à nous livrer les secrets de son prénom : son unique « t » qui convoque les ailleurs et surtout ce « í » accentué, comme une trace de l’Argentine quittée. « Métèque » sentimental, il puise dans des chansons populaires qui touchent comme dans les récits de sa famille pour créer un moment émouvant qui donne envie de frapper des mains et de rêver d’un monde de fraternité.
Si la part de la mise en scène est ici bien restreinte, c’est qu’il s’agit de musique avant toute chose. D’ailleurs, on se passerait même des projections, pas très utiles. Le chant est maîtrisé : Matías Chebel passe des aigus au grave, du tango aux chants libanais, comme il navigue de langue en langue. Marc Vorchin et Elie Maalouf eux-mêmes changeant d’instruments, nous embarquent dans un voyage musical. On regrette cependant qu’ils ne soient pas assez mis en lumière et osent moins l’interaction avec la salle.
Concert polyglotte, le spectacle nous invite ainsi à dépasser les barrières de la langue. Plein d’humour et de tendresse, il nous rappelle que ces qualités dépassent les frontières et nous font humains. Évoquant un épisode de la légende familiale, Matías Chebel nous confie une anecdote forte léguée par son aïeul. C’est l’histoire d’un cri, le cri d’une inconnue entendu lors du départ pour l’Argentine. Une mère hurle sa douleur de voir son fils Salvatore partir pour jamais. Et ce chant des départs est celui d’une sirène et d’une chienne. Il hantera le grand-père et lui sera ainsi transmis. À son tour, Matias nous livre cet héritage et nous protège de la tentation mortifère de transformer notre frère en ennemi. Fraternel.
« L’Exercice du super héros » : les pérégrinations d’un ado en territoire théâtral
Vous intervenez en milieu scolaire et en conservez des souvenirs bariolés ? Vous avez à domicile un enfant qui lève les yeux au ciel si vous parlez de théâtre ? De danse, n’en parlons même pas ! Vous avez au contraire un ado qui aimerait trouver une pièce qui parle un peu de lui, de ce que c’est d’avoir 17 ans ? Allez donc voir L’Exercice du super héros !
Martin et Sébastien interviennent en binômes dans des ateliers : dans des hôpitaux, des prisons et… des écoles, comme le lycée Doisneau de Corbeil. Sébastien s’occupe de la partie théâtre et les élèves s’ébaudissent devant sa faconde. Il parle, parle. Il faut dire qu’il aime Musset. Martin, lui, aime la danse, pas vraiment la danse classique, mais celle qui crée des états du corps. Et puis un jour, travaillant sur ce que c’est que d’avoir 17 ans avec les élèves, une histoire commence à naître avec l’un deux : Patrick. Chaotique souvent, elle est racontée avec beaucoup d’habileté par les deux interprètes.
D’abord, ces derniers incarnent tour à tour l’adolescent avec le sens du détail qui implique une observation tendre de cette gente si particulière. Martin Grandperret excelle en particulier à faire passer dans son corps la gêne du grand gaillard puni de corvée de théâtre alors qu’il se passionne pour la boxe. On rit beaucoup en vivant les cours de théâtre : la prise de confiance, les ratés, les merveilles. Mais le regard n’est ni surplombant, ni méprisant. D’ailleurs, les adultes se plantent parfois. On apprécie précisément l’autodérision que le récit fait émerger
Magie du théâtre
Ensuite, le récit est subreptice, en définitive. L’enchaînement des évènements, assez rocambolesque (avec histoire d’amour à la clé, suspense sur la représentation de fin d’année et tentation déjouée du récit d’éducation miraculeux par l’Aaaart) finit par être suspect. Ne nous mène-t-on pas en bateau, en prétendant partager une histoire vraie ? La question s’impose car Patrick, lui-même, finit par proposer un récit dont ni Martin, ni Sébastien ne sauraient dire s’il est fictif. Magie du théâtre.
Car c’est aussi de ça que parle la pièce : la capacité qu’a le théâtre de transfigurer le réel. C’est un de ses intérêts, avec celui de mêler danse et jeu pour exprimer plutôt que de tout expliquer. Si le spectacle est parfois un peu bavard, parce que la partition de Sébastien Nivault mériterait d’être resserrée (ses élèves n’ont pas tort), la danse vient équilibrer l’ensemble et nous embarquer. Alors on passe un bon moment autour d’une histoire bien ficelée, bien menée, sans chichi. Une pièce vraiment sympathique. Comme les interprètes. 🔴
Laura Plas
(Ex)-Ode, au feu des origines, de la cie Zumbo
Site de la compagnie
Mise en scène et interprétation : Matías Chebel
Musiciens : Elie Maalouf (piano, buzuq, percussions), Marc Vorchin (saxophone, clarinette, flûte)
Création lumière : Edwin Garnier
Régie : Julien Imbault
Vidéo : Ragnar Chacín Solano
Durée : 1h10
Dès 12 ans
La Factory • Salle Tomasi • 4, rue Bertrand • 84000 Avignon
Du 9 au 29 juillet 2023 (sauf les 10, 17 et 24) à 15 h 55
De 12 € à 22 €
Réservations : 09 74 74 64 90 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici
L’Exercice du super héros, de la cie La Nébuleuse de Septembre
Texte, chorégraphie et interprétation : Sébastien Nivault et Martin Grandperret
Mise en scène : Emmanuel Vérité
Lumière : Margot Robron
Régie : Aurélien Lorillon
Durée : 1 h 20
Dès 10 ans
La Factory • Salle Tomasi • 4, rue Bertrand • 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2023 (sauf les 10, 17 et 24), à 12 h 35
De 10 € à 20 €
Réservations : 09 74 74 64 90 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici