Le cirque contemporain lituanien à l’honneur en France
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Cette année, Circa a accueilli trois compagnies, s’inscrivant dans l’évènement La Saison de la Lituanie en France. Nous avons pu assister à deux propositions présentées en avant-première : « The Nappies Project » (Marija Baranauskaite Liberman) et « How a spiral Works » (Art for Rainy Days). Si la première nous a déconcertés, la seconde nous a enchantés.
Portée par l’idée que « l’autre est toujours différent mais jamais complètement autre », dixit le philosophe Viktoras Bachmetjevas, la Saison de la Lituanie en France a pour ambition d’offrir une programmation collaborative et inclusive qui encourage chacun à plus d’ouverture, puisqu’il s’agit de consolider et de raviver des valeurs essentielles tels que la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, les droits humains, la créativité et la résilience face au changement climatique.
L’objectif principal est la mise en réseau, l’augmentation des opportunités de tournée, de part et d’autre, ainsi que de partenariats à long terme. Repérer, sélectionner et accompagner de jeunes artistes afin de les soutenir dans leurs projets de création et participer à la promotion du cirque lituanien en France, c’est le défi que se sont donc lancés Teatronas, Circa, Le Plus Petit Cirque du Monde, le Prato, le PALC.
Le comble du mauvais goût
« Avec l’arrivée de leur bébé, Maraija et Markas ont choisi d’abdiquer face à l’omniprésence des couches-culottes. Les langes ont chamboulé leur quotidien qui se transforme en une chorégraphie imprévue (…) pour une performance inattendue où se mêlent absurde et sincérité », lit-on dans la présentation de The Nappies Project. On comprend mieux, dès lors, où ce duo voulait en venir. En effet, leur performance nous a d’abord plongés dans une certaine perplexité.
Depuis le perron de l’église, le couple a demandé à des volontaires de les suivre afin d’aller sur scène et participer à la scénographie, autrement dit, passer la représentation sous des bâches en plastique noir ou des couches. Pas de répit pour le public non plus, qui a dû se revêtir de Pampers et revêtements mis à disposition sur les sièges, la performeuse refusant de jouer si une seule tête était découverte.
« The Nappies Project » © Marija Baranauskaite Liberman
A-t-elle vraiment joué ? Mêlant sincérité et absurdité, Marija Baranauskaite Liberman invite, avec son comparse, le conceptuel dans le cirque dans un chaos indescriptible. Cela se veut drôle mais c’est affligeant, comme les récits soi-disant « cachés » au sein des objets symboliques. On a quand même pu ruser pour voir ce qui se tramait, car le son ne suffisait pas à nous faire une idée, d’autant que la traduction était plus qu’aléatoire. On n’a pas échappé à l’installation, une couche géante suspendue et débordante, ni aux tentatives de faire participer le public à cette fumisterie. D’ailleurs, la salle s’est rapidement vidée.
N’est pas Marina Abramović qui veut ! La pionnière serbe de l’art corporel s’est fait connaître dans les années 1970 par des actions radicales explorant et repoussant les limites physiques et mentales du corps humain. Justement, (dans un entretien sur Artcena), Marija Baranauskaite explique s’interroger sur la notion de corps vivant, après avoir destiné ses performances à des corps inanimés (en l’occurrence des canapés), puis à des spectateurs faisant semblant d’être des objets et, enfin, à des canards ! En tout cas, on ne pouvait rester coi face à une telle proposition…
Qui sont donc ces personnalités choisies pour représenter la Lituanie ? Née en 1990, celle-ci est l’une des premières créatrices de cirque contemporain professionnelles de Lituanie. D’abord danseuse contemporaine, elle fréquente ensuite l’école de clown Philippe Gaulier à Paris. Pendant onze ans, elle est actrice et conférencière chez Red Noses Clowndoctors, une ONG dont elle devient directrice artistique. Elle co-fonde l’Association du cirque contemporain en Lituanie. Markas Liberman est un artiste de cirque contemporain interdisciplinaire. Durant ses études en arts et cognition, il explore la relation corps – environnement.
Entre ciel et terre
Nous avons été plus convaincus par How a spiral Works, exigeant et original. Mêlant corde aérienne et danse, la cie Art for Rainy Days cherche à comprendre comment les mondes peuvent fusionner à travers leurs disciplines respectives. Izabele Kuzelyte revisite ici la capilotraction, cette technique traditionnelle consistant à se suspendre par les cheveux. Originaire de Vilnius, elle a commencé le cirque dès son plus jeune âge et est diplômée de la FLIC, école de cirque de Turin (Italie). Elle travaille actuellement à Munich avec la Contemporary Circus Association et vient d’être sélectionnée, avec son amie Elena Kosovec (cie Taigi Cirkas, créée à Vilnius en 2016), parmi les quatre lauréats circusnext 2024.
« How a spiral Works » © Art for Rainy Days
Quant à Alise Bokaldere, elle est danseuse et chorégraphe. Diplômée de l’Académie de Culture de Lettonie, elle crée et danse à l’international depuis 2018 autour de projets mêlant danse contemporaine, théâtre et cirque. Sa pratique du mouvement cherche à magnifier l’instant banal, au-delà de l’immobilité.
Évoluant d’abord dans des espaces différents, une relation s’établit peu à peu jusqu’à l’harmonie. Chorégraphies et cirque s’allient avec fluidité, même si le rapport à l’espace est quelque peu bouleversé. Grâce et technique sont sublimées par de beaux éclairages et certaines images empreintes de poésie nous emmènent loin avec, malgré tout, un fil conducteur très clair, nourri par un travail dramaturgique de qualité.
How a spiral Works débouche sur une belle rencontre : tantôt dans les airs, tantôt au sol, les deux acrobates trouvent le point de convergence, entre chutes et envols, venant à bout, grâce à l’entraide, des obstacles qui les retiennent, qui les empêchent. Elles qui étaient deux, ne font plus qu’une. Et c’est magnifique. Sur fond de guerre en Ukraine, ce spectacle – et cette saison culturelle – donnent à voir une Lituanie tournée vers l’Europe et attentive à l’autre.
Léna Martinelli
The Nappies Project, Marija Baranauskaite Liberman
Page Facebook
Réalisé par : non humains – couches
Avec : Marija, Markas and Ula Liberman
Scénographie : Berta Bocullo-Kaziliune
Lumières : Povilas Laurinaitis
Musique : Markas, Marija and Ula Liberman, diapers
Durée : 1 heure
Dès 14 ans
Centre Cuzin • Les 21 et 22 octobre 2024
How a spiral Works, Art for Rainy Days
Plus d’infos sur la cie et compte Instagram
Site et compte Instagram d’Alise Bokaldere
Page Facebook et compte Instagram d’Izabele Kuzelyte
Créateurs et régies : Jason Dupree, Alise Madara Bokaldere, Izabele Kuzelyte
Avec : Alise Madara Bokaldere, Izabele Kuzelyte
Compositeur et producteur de musique : Adam Dupree
Costumière : Aurelija Rancane
Direction technique : Jacob Jakobson
Mentor en suspension capillaire : Ingrid Eskusson
Durée 50 min
Tout public
Chapiteau CIRC • Les 21 et 22 octobre 2024
La Saison de la Lituanie en France est mise en œuvre par l’Institut culturel lituanien, opérateur du ministère de la Culture de la République de Lituanie, l’Institut français, opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture pour la politique culturelle extérieure de la France.
Dans le cadre de Circa, 37e édition, du 18 au 26 octobre 2024
Circa, pôle national Cirque Auch • Allée des Arts • 32000 Auch
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Nuit du Cirque 2024, annonce, par Léna Martinelli
À lire aussi sur Artcena : Cirque contemporain et art de la rue en Lituanie : où en sommes-nous et comment y sommes-nous arrivés ?, par Aušra Kaminskaite
Photo de une : « How a spiral Works » © Art for Rainy Days