Focus musique, « Basketteuses de Bamako », « Happy Ends », « Déplumé », Chainon Manquant 2024, Laval

Déplumé-L’Oiseau Ravage © Hugo Amsler.jpg

En avant la musique !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Le codirecteur Kevin Douvillez cultive un goût immodéré pour les musiques actuelles, notamment celles venues d’ailleurs, comme les « Basketteuses de Bamako », et pour des artistes atypiques, tel Leïla Martial (lire notre critique) ou encore Charlène Moura et Marek Kastelnik. De beaux moments, qui sont bien plus que des concerts, à l’instar de celui concocté par Chloé Lacan et Thibaud Defever.

Les Basketteuses de Bamako se joue d’airs traditionnels, de danses et des rythmes des rebonds de ballons au sol. Utilisant ces derniers comme des instruments de percussion et de jongle, les sportives-chanteuses composent en quelques tableaux un spectacle singulier, une collaboration inédite entre des artistes maliennes et Thomas Guérineau.

« Basketteuses de Bamako », Thomas Guérineau © Metlili.net 

Changement de continent ! Né à Osaka, Yuichiro Maeda conjugue dans sa musique les traditions ancestrales japonaises, dans lesquelles il a été élevé, et la culture rock anglo-saxonne, dont il s’est nourri adolescent. Récemment installé en France, il développe le projet Moojigen. Ses solos sont de véritables performances où, armé d’une myriade de pédales d’effets et de loopers, le guitariste se démultiplie et déploie de fascinantes fresques sonores.

D’autres artistes revisitent le répertoire. Ainsi, pour la chanson française, Anne Sylvestre a-t-elle été honorée. Chloé Lacan et Thibaud Defever, eux, ont été inspirés par le 7e art. Afin de raconter leur propre histoire, Happy Ends fait se succéder chansons, thèmes et dialogues de films dans des versions décalées.

Bande originale

Guitare, voix et percussions dialoguent, tout en finesse, revisitant des airs connus et moins connus. Du Mépris de Godard au Cabaret de Bob Fosse, en passant par Hôtel du Nord de marcel Carné, ces deux amoureux des salles obscures prennent plaisir à mélanger les styles, les langues, les souvenirs personnels.

« Séquence 1, intérieur nuit, quelque part en Mayenne, au hasard Laval » : pas besoin de plus pour poser le décor. Écrit comme un film, le concert se laisse voir. Ici, pas de caméra, mais des éclairages qui sculptent les corps et caressent les visages, dans de judicieux cadrages. Subtilement mis en scène, le concert comprend un quiz qui fait participer la salle vers la fin. Quel plaisir de reconnaître Vladimir Cosma, Sergio Leone, David Bowie…

Pour cette représentation, Chloé Lacan a dû poser son accordéon à cause d’une « épaule dissidente ». Heureusement, la multi-instrumentiste a « d’autres compagnons ». Sa voix reste unique. Avec Thibaud Defever, lui à la guitare et également au chant, ils font la paire, s’accordant parfaitement. Habitué à chanter des musiques de leur composition, le couple partage ici la scène afin de célébrer d’autres artistes, dans des versions et interprétations originales.

« Happy Ends », Chloé Lacan et Thibaud Defever © Jean-Noël Cantelli © Nicolas Blanchard

La musique dicte le scénario. Dans le tourbillon de la vie, la pluie s’invite, et après quelques rencontres amoureuses et une rupture, bien sûr, nous parcourons des scènes de train, de rue. Jusqu’à la Traque, inoubliable. Sur l’écran noir… Nougaro débarque en embuscade. Comme lui, Chloé Lacan et Thibaud Defever pistent les mots, les notes, les rythmes. On n’en ressort pas À bout de souffle, mais conquise, une fois de plus.

Fantaisie plumée

Second couple à nulle autre pareille : Charlène Moura et Marek Kastelnik. L’automne est la saison des migrations et tous deux se sont posés à Laval, pour notre plus grand plaisir. D’emblée, leur entrée donne le ton : jabot de plumes noires, éventail et moult surprises transforment la chapelle en forêt de sortilèges. « Dans cette salle réservée aux examens de ce sublime lycée, les élèves passent leur bec », ironise le pianiste, aux côtés de la saxophoniste-chanteuse-percussionniste. Le concert s’annonce épique.

« Déplumé », L’Oiseau Ravage © Wegow

« Jazz déplumé aux allures ailées qui dévoile ses migrations impressionnistes », voici comment ils présentent leur spectacle Déplumé. Au répertoire : quelques « pocket symphonies », en plusieurs mouvements et aux titres improbables, dont le triptyque Pan, chien canard, dodo. Car ces zoizeaux-là ne supportent pas d’être encagés. Parmi leurs cibles : les chasseurs et les empêcheurs de voler haut.

Libération d’un oiseau mécanique, vibrant hommage aux dodos, présentation du chevalier gambette ou de la fauvette orphée, mais aussi admiration pour la mésange, le corbeau et la poule… Le concert est théâtral, facétieux, impertinent. Entre silences et fulgurances, les interprètes expriment rage et mélancolie dans des compositions ébouriffantes. C’est d’un humour ravageur.

À la croisée des styles, l’Oiseau ravage joue du souffle et du vertige. Ça jazze, ça écorche parfois les oreilles. Entre ses envolées lyriques, Charlène Moura fouille jusqu’au fond de sa gorge la note qui pourrait lui échapper, dans des positions improbables, s’accompagnant également d’objets sonores insolites. On pense à Nina Hagen ou Yma Sumac. Avec ses morceaux tour à tour mélodieux et sauvages, Marek Kastelnik est aussi un chercheur de l’impossible. Leur prestation les élève au rang d’artistes exceptionnels. Ils peuvent bien parader. Tant de talent nous a cloué le bec.

Léna Martinelli


Conception, mise en scène : Thomas Guérineau
Avec : Djeneba Diabate, Mariam Diakite, Koumba Alimatou Djire, Djenebou Fane, Ramata Kone et Kadiatou Togola
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Théâtre de Laval • 34, rue de la Paix • 53000 Laval
Tournée ici :
• Le 4 décembre, Le TCM, à Charleville-Mézières (08)
• Le 6 décembre, Centre Culturel Arc en Ciel, Théâtre de Rungis (94)
• Du 10 au 12 décembre, Bonlieu scène nationale Annecy (74)
• Le 18 décembre, Le Sémaphore, scène conventionnée, à Port-de-Bouc (13)

Happy Ends, Chloé Lacan et Thibaud Defever

Sostenuto Prod
Mise en scène : Nicolas Ducron
Création lumières : Thomas Miljevic
Création son : Julien Bouzillé
Durée : 1 h 15
Dès 13 ans
L’Avant-scène • 29, Allée du Vieux Saint-Louis • 53000 Laval
Le 17 septembre 2024
Tournée ici :
• Le 21 septembre, La Nacelle, à Aubergenville

Déplumé, L’Oiseau Ravage

Site de la cie
Saxophone, voix, objets sonores : Charlène Moura
Piano : Marek Kastelnik
Chapelle Lycée Ambroise Paré • 17, rue du Lycée • 53000 Laval
Le 17 septembre 2024
Tournée ici

Dans le cadre du Chainon manquant, du 17 au 22 septembre 2024

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Focus musique, le Chainon Manquant 2019, par Léna Martinelli
« J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre », de Chloé Lacan, par Léna Martinelli

Photo de une : « Déplumé », L’Oiseau Ravage © Hugo Amsler

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