L’heureuse fortune de Fortunio
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
L’année se termine en beauté à l’Opéra Comique avec la reprise de « Fortunio » d’André Messager, présenté dans la mise en scène élégante et efficace de Denis Podalydès et porté par un casting impeccable.
André Messager s’apprête à prendre la tête de l’Opéra de Paris lorsque sa nouvelle œuvre, la comédie lyrique Fortunio, est créée à l’Opéra Comique en 1907. Une manière pour le compositeur et chef d’orchestre de faire ses adieux à cette institution dont il a été le directeur musical pendant près de dix ans. Accueilli avec entrain par la presse et le public à sa création, Fortunio n’a été repris qu’à quelques rares occasions depuis. L’Opéra Comique, qui s’applique chaque saison à nous faire redécouvrir des œuvres injustement oubliées, l’avait remonté en 2009. C’est cette version, mise en scène par Denis Podalydès qui nous est présentée pour les fêtes de Noël.
Adaptée de la pièce de théâtre Le Chandelier d’Alfred de Musset – auteur très en vogue à l’opéra à la fin du XIXème et au début du XXème siècle –, Fortunio raconte les mésaventures amoureuses d’un jeune provincial monté à Paris pour devenir clerc de notaire. Tombé amoureux de Jacqueline, l’épouse de son maître d’étude, il se fait embarquer dans une combine servant à dissimuler la relation extraconjugale de cette dernière avec le Capitaine Clavaroche, devenant ainsi leur « chandelier ».
Denis Podalydès signe une mise en scène élégante et efficace qui transpose l’intrigue du début du XIXème au début du XXème siècle – transposition que ne s’étaient pas permise le compositeur et ses deux librettistes en 1907. Le ton est résolument léger, la direction d’acteurs précise et les scènes d’ensemble bien senties. Les décors sobres et réalistes sont signés Éric Ruf tandis que les sublimes costumes ont été réalisés par Christian Lacroix.
Une partition légère et expressive
Cyrille Dubois incarne un Fortunio timide et mélancolique, un personnage plutôt anachronique, jeune premier typique des drames romantiques qui se serait égaré dans une comédie légère. Sa voix ronde et pleine, ses aigus délicats et son interprétation tourmentée conviennent admirablement à ce personnage attachant. Face à ce superbe Fantasio, Anne-Catherine Gillet interprète une merveilleuse Jacqueline, douce et coquette, innocente sans être pour autant insensible au charme de Clavaroche. Son jeu raffiné, ses aigus perçants et son vibrato aérien confèrent un charme fou et une vraie fraîcheur au personnage.
Ce duo charmant est soutenu par des rôles secondaires bien campés, dont celui du Capitaine Clavaroche, interprété par un Jean-Sébastien Bou séducteur à la voix généreuse. Franck Leguérinel, bien connu du public de l’Opéra Comique, est absolument truculent dans le rôle de Maître André, vieux beau gâteux et fantasque. Un brin cabotin, le chanteur fait des merveilles avec sa puissante voix de baryton et son jeu à l’expressivité toute comique. Philippe-Nicolas Martin incarne quant à lui un Landry vantard et malicieux à la voix puissante Le casting est complété par la mezzo-soprano Aliénor Feix, agile et grave dans le rôle de Madelon.
Le chef Thomas Langrée dirige de sa baguette virevoltante la partition légère et expressive de Messager, oscillation permanente entre musique d’opérette et accents lyriques. L’Orchestre des Champs-Elysées interprète avec soin cette partition continue qui ne laisse aucun répit aux musiciens, soutenu par les quelques interventions réussies du chœur Éléments et des jeunes de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique. Une production parfaite pour finir l’année en beauté.
Maxime Grandgeorge
Fortunio, d’André Messager
Livret : Gaston Arman de Caillavet et Robert de Flers d’après Le Chandelier d’Alfred de Musset
Mise en scène : Denis Podalydès
Direction musicale : Louis Langrée
Avec : Cyrille Dubois, Anne-Catherine Gillet, Franck Leguérinel, Jean-Sébastien Bou, Philippe-Nicolas Martin, Pierre Derhet, Thomas Dear, Aliénor Feix, Luc Bertin-Hugault, Geoffroy Buffière, Sarah Jouffroy et Laurent Podalydès
Photo : © Stefan Brion
Opéra Comique • Place Boieldieu • 75002 Paris
Jusqu’au 22 décembre 2020
Durée : 2h30 avec entracte
De 6 € à 138 €
Réservations : 01 70 23 01 31
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Ercole Amante », de Francesco Cavalli, par Maxime Grandgeorge
☛ « L’inondation », de Francesco Filidei et Joël Pommerat, par Maxime Grandgeorge
☛ « Madame Favart », de Jacques Offenbach, par Maxime Grandgeorge