Arts de rue et de cirque, inclassables, et bien plus encore !
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Furies a présenté une belle programmation, du 3 au 8 juin. Ce festival est pionnier sur l’ouverture des arts de la rue au monde du cirque, et de manière générale à la diversité, ainsi qu’aux croisements. Cette édition a fourni l’occasion de porter une attention particulière à la création circassienne contemporaine dans l’espace public avec un focus sur l’Europe. L’aboutissement du projet « Hand to hand » a permis de découvrir sept prototypes de quatre pays.
Arts de rue
À Châlons-en-Champagne, on retrouve des compagnies historiques, telle Kumulus (prix SACD des arts de la rue 2006), qui se plaît à troubler la frontière entre fiction et documentaire (Qui a tué mon père) et des têtes d’affiche, à l’instar du Komplex Kapharnaum, avec Contacts, du carnaval numérique que nous n’avons hélas pas pu voir. Sur le papier, la proposition semble innovante, avec une application à télécharger afin d’avoir toutes les informations le jour J. Le spectacle, interactif, incite les spectateurs à créer leurs avatars, à partager des contributions, à diffuser des sons et des images.
« Jours », Kiroul © Emmanuel Veneau
Jean-Marie Songy, le directeur de Furies, est à l’affût des dernières tendances. En ces temps de sinistrose, plusieurs s’interrogent : la rue est-elle un lieu inadapté pour la joie ? Kiroul propose Jours, « l’espoir démagogique assumé d’écrire en plein cœur de l’espace public, dans un univers hostile, une œuvre percutante, drôle et pleine d’espoir et ce malgré elle ». Comme un rebond suite à une grosse dépression, cette catharsis fait du bien (lire la critique de Stéphanie Ruffier).
Car « l’humanité est-elle condamnée à se disputer éternellement sur l’existence de Dieu et le prix de l’essence à la pompe ? », se demande le Collectif Xanadou. Les personnages de Road movie sur place & sans caméra sont à la dérive. Leur seule bouée de sauvetage, une vieille Peugeot 106 qui les a vus naître. Ses membres se sont effectivement rencontrés en 2005 dans une station essence de l’autoroute A7. Ils se sont alors découverts de nombreux points communs. Par exemple, « ils aimaient le Viandox, les horodateurs et les zones industrielles », racontent-ils ! C’est donc tout naturellement qu’ils décident de se lancer dans la création en espace public. Et ça dépote : « Ils font des spectacles comme on fait des antidépresseurs, en moins mauvais pour la santé ». Ici, ils rendent un véritable hommage au cinéma et à tous les grands films qui ont bercé leur enfance : Fast and Furious, Fast and Furious 2, Fast and Furious 3, Fast and Furious 4, Fast and Furious 5…
« Road movie sur place & sans caméra », Collectif Xanadou © Vincent Muteau
On ne boude pas non plus les rencontres festives avec les habitants. En effet, Furies développe des rapports privilégiés aux populations, notamment par une politique d’implantation sur le territoire. Après Se cuisiner et Se réveiller, la cie Rara Woulib s’est installée en résidence avec plusieurs cercles de complices châlonnais afin de créer Vertige(s). Le spectacle rend hommage à la vitalité citoyenne dans les quartiers populaires : « Cette traversée urbaine célèbre toutes ces actions très locales qui rendent la vie vivable et qui passent si souvent sous les radars : l’entraide, les actions collectives (de la kermesse à la maraude) et toutes les initiatives informelles qui maintiennent le lien social et viennent soutenir les plus vulnérables. Une façon profonde et radicale de contester, de s’élever contre l’oppression et l’injustice. »
Cirque
Le cirque ne se cantonne pas aux chapiteaux, ni aux salles. Le parkour urbain donne justement à voir autrement la ville. Lorsque la rue devient une scène, les façades se font toiles de fond. En raison de pluie, nous n’avons hélas pas pu assister à Follow me, mais on avait beaucoup aimé Living du même Be Flat (lire notre article).
« Follow me », Be Flat © Vincent Muteau
Châlons-en-Champagne, c’est également le lieu du Centre national des arts du cirque (CNAC). Au Cirque historique, la dernière promotion (la 37e, recrutée en 2022) a présenté, dans le cadre du Préambule, ses travaux de fin d’étude, des créations individuelles qui font œuvre collective, à la veille de leur plongée dans le milieu professionnel. Ces Échappées révèlent la sensibilité personnelle, la créativité, la maîtrise disciplinaire et le sens du rapport au public de chaque étudiant. Quant à ceux de la promo suivante, ils se sont livrés à un exercice pédagogique (Écrire son cirque) qui marque une étape clé dans le parcours à l’issue de leur 2e année de formation. Ces passerelles sont précieuses au repérage. À ce titre, on retrouve plusieurs anciens diplômés dans les divers projets professionnels, tel Rémy Luchez pour Cloche, notre coup de cœur (lire notre critique).
38e et 37e promotions © CNAC
De l’émergence aux « anciens », l’ouverture est à 360°. À l’occasion de la sortie du Grand Livre des 40 ans du Cirque Plume, le festival a organisé une rencontre avec l’auteur et artiste Bernard Kudlak, cofondateur de cette compagnie emblématique du nouveau cirque (lire notre article) et ancien président (2018-2022) du PALC, Pôle national cirque en région Grand Est, également dirigé par Jean-Marie Songy.
Artiste associé à la préfiguration de ce dernier, Yann Ecauvre, directeur artistique du Cirque Inextremiste, a dévoilé son dernier opus. Avec son équipe (du « cirque et réel à risques » qui aime repousser toujours plus loin les frontières de l’extrême), on saute volontiers dans l’inconnu, quitte à avoir le vertige ; on se laisse piéger et on en redemande (lire la critique de Warning et d’Extension). Là, on avoue notre déception, à la (dé)mesure de cette proposition qu’on préfère penser inaboutie (d’ailleurs, c’est une sortie de résidence).
« G.A.P. (Gloire Au Plongeoir) », Cirque Inextremiste © Fabrice de Croutte
Cette compagnie nous a effectivement habitués à des surprises de taille et à un humour cinglant. G.A.P. (Gloire Au Plongeoir) déroge à la règle. Jamais la musique n’a été aussi présente. Le plongeoir, élément central de la scénographie, est pensé comme « un catalyseur visuel du dilemme humain ». Passe encore l’esthétique kitsch et le côté foutraque ! Plusieurs spectacles de rue nous ont surprise et emballée, en dépit du mauvais goût apparent qui se justifiait au final. Ici, pas une once de réflexion, aucun travail dramaturgique : on reste dans l’anecdotique sans mise en perspective sur les enjeux philosophiques ou sociétaux. Hormis quelques courageuses qui se jettent du plongeoir, il ne se passe pas grand chose. En parallèle, un super héros exécute quelques sauts et disparaît aussitôt, tandis que le leader du groupe se dépatouille comme il peut avec un complice au rôle mal défini. Certes, d’ordinaire, le Cirque Inextrémiste fait du bluff, mais ruse, bascule et bouscule, bref fait réfléchir sur des sujets profonds. Ici, la farce fait flop.
Hors cadre
Saluons toutefois les prise de risques de Jean-Marie Songy (on ne compte pas moins de 11 créations et 3 maquettes) et ses soutiens indéfectibles. On est touchée par Pascaline Herveet (Cirque du docteur Paradi) qui a livré une version minimaliste de sa pièce de cirque les Petits Bonnets, l’histoire d’ouvrières qui se révoltent dans une usine de soutiens-gorge. Attention, il reste quelques épingles, ça pique ! À cause de moyens insuffisants, nous avons assisté à une lecture, parlée, chantée. Présentée dans le cadre du festival Avignon Off 2022, sur l’Île Piot (site d’Occitanie fait son Cirque), la forme spectaculaire avait pourtant remporté un vif succès (voir le teaser). Après ce solo réjouissant, on aimerait vraiment voir cette version originelle reprogrammée ailleurs.
« Transfiguration », Olivier de Sagazan © Romane Meulle
Dénoncer les injustices, défendre les voix minoritaires… À Furies, on découvre toujours des inclassables qui donnent à voir les « invisibilisés », les marges, le hors norme, des excentriques en tous genres. Un clown acrobate lévite (Cloche, Association des clous, Rémy Luchez) ; un berger de taupes déclame de la poésie (2 Soleils, Jérôme Bouvet) ; un performer, échappé des lieux d’art contemporain, livre une performance exceptionnelle (Transfiguration, Olivier de Sagazan)… Voici justement quelques pépites qui méritent attention (lire notre article Furies donne à voir l’invisible).
Mouvement en paysage
Si l’on peut y trouver des spectacles en salle (comme à La Comète scène nationale), la programmation n’est jamais classique, puisqu’il s’agit surtout d’explorer de nouvelles voies de création avec des propositions hybrides dans des lieux non dédiés (60 % de la totalité). C’est aussi presque naturellement que Furies s’est inscrit dans projet de coopération européenne Hand to hand, mené par Le Palc en chef de file, avec Room 100 en Croatie, Helsingør Teater au Danemark et Bussolà au Portugal, dans une démarche collaborative.
En guise de clôture de cet ambitieux projet, sept prototypes artistiques ont été présentés sous forme de parcours mêlant cirque et réflexions sur l’écologie sociale et le savoir-faire de travailleur∙euse∙s en entreprises. L’écologie sociale, utilisée comme synonyme d’écologie humaine, répond à ce besoin de transformer notre rapport au vivant et à l’Autre – l’Altérité, avec une approche constructive, écologique et éthique de la société. Elle envisage un monde qui ré-harmonise les communautés humaines avec le monde naturel, tout en célébrant la diversité, la créativité et la liberté. Face à ces enjeux, le secteur du cirque contemporain doit aussi faire évoluer ses pratiques.
« Kraquement », Lucia Heege Torres © Joseph Banderet ; « Structures », Mille Lundt © Strahinja Aćimović
Parmi eux, Amphibian Matter de Juana Ortega Kippes a été élaboré dans le cadre d’une résidence dans l’industrie du conditionnement et de la distribution de la morue à Ilhavo (Portugal). Pour les projets locaux, Structures a été développé lors d’une résidence dans les vignobles de Joseph Perrier, maison de Champagne. Mille Lundt ouvre ainsi de nouvelles perspectives grâce à l’improvisation, dans une relation féconde entre corps, architecture, son et nature.
Lucia Heege Torres, quant à elle, sort d’une résidence à Fila Arches, entreprise artisanale historique de papier d’art dans les Vosges. Outre ce parcours d’images suspendues (Petralaions), cette trapéziste ballant et contorsionniste nourrie par son parcours (école d’arts et de design de Barcelone, puis le CNAC) présente aussi Kraquement, « une ode à la mémoire mouvante de l’exil, à la tendresse tenace, à la force fragile de celles et ceux qui partent », dans un paysage de papier kraft, sur un chemin de charbon et au cœur d’une peinture vivante. Des expériences sensibles qui font œuvres.
Léna Martinelli
Contacts, Komplex Kapharnaum
Site de la cie
Direction artistique : Pierre Duforeau
Comédienne, voix, écriture texte : Enji Julien Binard
Artiste visuel, médias manager : Pierre-Yves Mansour
Codeur créatif, conception numérique : Thomas Bohl
Producteur sonore, conseil artistique : Mathieu Monnot
Concepteur lumière, codeur créatif : Richard Fontaine
Costumier, interprète : Baptiste Odet
Vidéaste, producteur, IA générative : Julien Pénichost
Codeur créatif, électronique : Clément Saillant
Directeur technique, conception dispositifs : Gilles Gallet
Tournée :
• Le 18 juillet, Chalon dans la rue IN
• Le 12 septembre, à Saint Denis
Jours, Kiroul
Site de la cie
Direction artistique : Cyril Puertolas (mise en scène et dramaturgie), Dimitri Votano (scénographie), Sylvain Cousin (mise en scène)
Avec Émilie Canniaux, Mariette Delinière, Marion Dupouy Mason, Frédéric Pradal, Cyril Puertolas, François Sinagra, Valérie Tachon, Dimitri Votano, Martin Votano
Tournée ici :
• Le 21 juin, Pronomades, à Encausse-les-Thermes
• Le 18 juillet et le 9 août, Ça bouge, à Auch
• Le 20 juillet , Les Théâtrales d’été, à Samatan
• Le 26 juillet, Les Grands Chemins, à Ax-les-Thermes
• Du 15 au 17 août, Festival d’Aurillac IN
• Le 23 août, Éclat(s) de rue, à Caen
• Du 29 au 31 août, Les Rias, à Quimperlé
• Le 14 septembre, Arto, festival de rue de Ramonville
• Le 27 septembre, Circa et la Petite Pierre dans le Gers
Road-movie sur place et sans caméra, Collectif Xanadou
Site du collectif
Écriture et mise en scène : Louis Zampa
Avec : Vincent Gaudin, Susan Redmond, Sarah Ulysse, Marie Rubert-Franchi, Boris Zordan, Louis Zampa
Bande originale : Balladur et Johan Lescure
Tournée ici :
• Le 12 juin, Le Plancher des chèvres, Le Bounestival, à Bounas
• Le 14 juin, Festival en Philigrâne, à Grâne
• Les 27 et 28 juin, Festival Désarticulé, à Moulins
• Le 25 juillet, Les Grands Chemins, à Ax-les-Thermes
• Du 20 au 23 août, Festival d’Aurillac
Vertige(s), cie Rara Woulib
Site de la cie
Éléments de texte : Diaty Diallo
Conception et mise en scène : Julien Marchaisseau
Avec : France Davin, Cyril Fayard, Kate Fletcher, Charlotte Fuillet, Kévin Klein, Donata Lelleri, Isabelle Perrouin, Vincent Salagnac, Pierrick de Salvert, Alexandra Satger, Florent Thiollier
Cheffe de chœur : Alexandra Satger
Direction d’acteur : Wilda Philippe
Chorégraphie : Filipe Lourenço
G.A.P. (Gloire Au Plongeoir), Cirque Inextremiste
Site de la compagnie
Création collective : Cirque Inextremiste, sur une idée de Yann Ecauvre
Avec : Yann Ecauvre, Rémi Bézacier (ou Sylvain Briani Colin), Violette Legrand, Johann Candore, Pauline Bougere, Mehdi Azema
Durée : 1 heureTout public
Tournée ici :
• Du 17 au 20 juillet, Chalon dans la rue, Collectif La République du Poulpe
• Du 20 au 24 août, Festival Aurillac IN
• Le 18 avril 2026, Festival FAR, Rosheim
• Les 29 et 30 mai, Demandez-nous la lune, à Meisenthal
• Du 8 au 14 juin, Les Ateliers, à Saint-Herblain
• Du 25 au 28 juin, Onyx, Théâtre de Saint-Herblain
Structures, Mille Lundt
Plus d’infos ici
Kraquement, Lucia Heege Torres
Avec : Léa Léprêtre, et Lucia Heege Torres
Administration Association Les Thérèses
Plus d’infos ici
Petralaions, Lucia Heege Torres
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Photo de une : « Contacts », Komplex Kapharnaum © Vincent Muteau