Sous le chapiteau, rien
Par Aurélie Mazzeo
Les Trois Coups
Aurélien Bory, l’un des quatre artistes associés du Grand T cette année, y présente en exclusivité son dernier spectacle , sans paroles et sous chapiteau, « Géométrie de caoutchouc ». Aucun risque, aucun parti pris, aucun fond… Aucun intérêt ?
Aurélien Bory, à la manière des oulipiens, expérimente l’écriture sous contrainte. Avec Géométrie de caoutchouc, il se propose d’explorer les possibilités offertes par la grande toile qui traditionnellement abrite les cirques. De là vient l’idée d’une mise en abyme : à l’intérieur du grand chapiteau monté à l’extérieur du Grand T s’en trouve un plus petit, qui sert d’unique décor au plateau.
À l’extinction des lumières, on comprend que ce petit chapiteau vit, respire. Abri cannibale, il réchauffe les corps en son sein, les crache, puis les ravale. Lorsque ses habitants muets parviennent à en sortir, ils restent irrémédiablement attirés vers lui, curieux de comprendre comment il tient, s’il est possible de l’escalader, d’en dégonfler les formes rebondies, de lui faire subir des transformations qui le rendraient moins écrasant. Voilà pour l’histoire.
Le public est disposé le long des quatre côtés du plateau. Les comédiens se partagent chaque arête : on assiste au départ à un spectacle légèrement différent selon sa position dans la salle. Au départ seulement : très tôt, les comédiens s’appliquent à reproduire leur chorégraphie, car la tradition de nous maintenir égaux devant l’image est finalement perpétrée.
Très découpé, le spectacle se divise en images fortes se succédant les unes aux autres après avoir été répétées en long, en large et en diagonale. Chaque fois, on se prend à espérer que la magie va durer : Aurélien Bory crée incontestablement des tableaux oniriques qui racolent nos âmes d’enfants. On retient son souffle la première fois que les acteurs se jettent dans le vide, une simple corde en travers du corps. On se demande comment c’est fait, quand on croit les voir flotter sous la toile. On s’exclame lorsque celle-ci s’envole dans les airs et se transforme en monstrueuse méduse. Mais ces émotions s’étiolent le temps de patienter que les autres tribunes assistent à leur part du spectacle.
Des corps et de l’art sans âme
Les comédiens – si après cette phrase nous persistons à les appeler ainsi – ne correspondent techniquement à aucune discipline. En apparence, ce ne sont pas des danseurs : les moments les moins acrobatiques sont plutôt raides et sans grâce. Les différents duos, par exemple lorsque l’un tente de rejoindre l’autre à travers la forêt de tendeurs, révèle un manque de communication gênant entre les acteurs. Ce ne sont d’ailleurs pas non plus des acteurs : globalement inexpressifs, ils semblent embarrassés de se trouver là chaque fois qu’à la fin d’un mouvement se présente une occasion de jeu. Aurélien Bory n’a pas saisi l’occasion de distinguer ses protagonistes les uns des autres, ni celle de créer un groupe uni autrement que par une chorégraphie.
Enfin, leurs qualités d’acrobates restent timidement mises en avant : ils sont certes équilibristes habiles sur une matière instable, mais l’écriture du spectacle préfère l’objet du décor aux prouesses de ceux sans qui on ne s’y intéresserait pas. Cet amas de corps évoque un groupe de marionnettes creuses exécutant sans rechigner les ordres de celui qui tire les ficelles. À l’image du spectacle lui-même, ces personnages sont dépourvus d’âme.
Peut-être alors que ce qui importe, c’est l’idée ? La potentielle symbolique du spectacle, en soi, se révèle plutôt riche. On pourrait lire à travers le chapiteau la métaphore de n’importe quelle entité, institution, truc qui peut intervenir dans la vie des hommes : le monde, le théâtre, l’amour, la société… Mais, ici, aussi Aurélien Bory laisse à la liberté de notre imagination le soin de faire des choix à sa place. Cette absence de parti pris donne à ce spectacle l’allure d’une étape de travail, que l’on pourrait attribuer aux soucis techniques qu’a rencontrés l’équipe lors du montage. Ce qu’on retient malheureusement en sortant du chapiteau, c’est que l’air frais nous avait manqué depuis plus d’une heure. ¶
Aurélie Mazzeo
Géométrie de caoutchouc, d’Aurélien Bory
Cie 111
Site : http://www.cie111.com/
Conception, scénographie et mise en scène : Aurélien Bory
Avec : Mathieu Bleton, Raphaëlle Boitet, Olivier Boyer, Pierre Cartonnet, Sarah Cosset, Nicolas Lourdelle, Marlène Rostaing, Yingchun Yu
Création lumière : Arno Veyrat
Musique : Alain Kremsky
Mixages additionnels : Joël Abriac
Collaborations artistiques : Pierre Rigal, Albena Dimitrova, Olivier Alenda
Assistante à la mise en scène : Sylvie Marcucci
Régisseurs : Joël Abriac, Tristan Baudoin, François Saintemarie, Arno Veyrat
Régisseur son : Stéphane Ley
Enregistrement studio : Charles Eddi
Régie générale : Arno Veyrat
Décor : Pierre Dequivre
Construction décor : atelier La Fiancée du pirate
Costumes : Sylvie Marcucci
Production, administration, diffusion : Florence Meurisse, Christelle Lordonné
Le Grand T • 84 , rue du Général-Buat • 44000 Nantes
Site du théâtre : http://www.legrandt.fr
Réservations : 02 51 88 25 25
Du 11 au 16 octobre 2011 à 20 h 30, dimanche à 17 heures
Durée : 1 h 15
24 € | 20 € | 12 €
Tournée :
- Du 24 au 28 octobre 2011 au festival CIRCa d’Auch (32)
- Du 9 au 12 novembre 2011 au Havre (76)
- Du 1er au 11 décembre 2011 à Antony (92), relâche du 5 au 7 décembre inclus