« C’est moche, mais
c’est tant pis pour vous »
Par Diane Launay
Les Trois Coups
Comment entretenir et faire évoluer les rapports entre théâtre et littérature ? Avec le « Gombrowiczshow », la compagnie du Zerep propose quelques éléments de réponse, en développant autour du roman « les Évadés » de l’auteur polonais Gombrowicz un ensemble de tableaux burlesques entre hommage et prise d’otages.
Si vous ne connaissez pas l’œuvre de Gombrowicz, il faut bien l’avouer, ce n’est pas le Gombrowiczshow qui vous en apprendra beaucoup plus. On en retient tout de même que le romancier polonais se plaisait à représenter les différentes classes d’une société polonaise, de la noblesse à la paysannerie, prise entre modernité et féodalité. Que philosophe et esthète, il plaçait la question de la forme au centre de ses préoccupations artistiques et intellectuelles. Qu’il s’est laissé tenter avec les Évadés par le style « roman de gare » et qu’il y a découvert des difficultés de composition insoupçonnées. Le Gombrowiczshow nous donne l’image d’un auteur romantique, au charme un peu suranné, dont les personnages en sabots ou crinoline hésiteraient entre sensibilité et sensiblerie. Pas très tentant ?
C’est d’une image assez injustifiée dont hériterait là Gombrowicz, romancier de tout premier ordre, que l’on compare sans exagérer à Kafka ou à Edgar Poe, et qui a inspiré Milan Kundera. En réalité, c’est là que se manifeste tout l’art burlesque de la compagnie du Zerep, qui nous tend un miroir déformant où l’hommage s’étiole en caricature, où la laideur et la dérision servent de prisme à la réalité. Une attitude pas si éloignée de celle de Gombrowicz lui-même, qui utilisait dans les Évadés le mauvais goût, le cliché, pour dépeindre une Pologne décadente et absurde. Gombrowicz est donc pris au piège de ses propres moyens de représentation. La compagnie du Zerep lui fait ainsi gentiment sa fête, et il devient à son tour un personnage gombrowiczien… Une façon aimable mais pas forcément appréciée de faire descendre de son piédestal un grand auteur.
La dimension parodique ainsi que le mélange des genres sont les deux aspects de l’œuvre du romancier que les metteurs en scène Sophie Perez et Xavier Boussiron semblent avoir voulu privilégier. Attention les yeux ! Certains ne supporteront pas le mauvais goût et l’inspiration Rocky Horror Picture Show : maquillages dégoulinants, moumoutes défraîchies, fanfreluches, groom sexy… Pas plus que le côté Palace, très télévisuel, avec costumes en lamé, présentateurs horripilants et lancés de micro. Une esthétique du kitsch qu’on a déjà pas mal vu au théâtre ces derniers temps, qui mêle la nostalgie bon enfant à la critique ironique des styles. D’une certaine façon, Sophie Perez résume les enjeux de cette tendance kitsch : « C’est là tout le problème de la parodie : savoir si nous faisons reposer notre travail sur des choses que nous aimons fondamentalement ou que nous détestons fondamentalement. ». Un entre-deux qui peut être vécu comme un désengagement, une absence de prise de position, une fuite du metteur en scène vis-à-vis de ses responsabilités.
Ce qui sauve, selon moi, le Gombrowiczshow de la futilité creuse vers laquelle il tend, d’une certaine façon volontairement, c’est l’élargissement de sa portée parodique à tous les attributs de la théâtralité et de la littérature : le drame, l’intrigue, les scènes, l’évènement, les personnages, et même l’auteur, puisque Gombrowicz en prend aussi pour son grade. En parodiant l’art, ses structures et les émotions qu’il procure habituellement, le Gombrowiczshow dérange. Car il tourne en dérision notre capacité à sublimer la réalité et à nous émouvoir, mais aussi à intégrer en permanence, dans notre vie de tous les jours, des codes, du drame, de la théâtralité, des personnages, à partir desquels nous construisons notre vie sociale et affective. Les acteurs du Gombrowiczshow, à l’instar des Nuls, des Inconnus ou des Robins des bois, redonnent à l’imbécillité toute sa dimension subversive et politique. Ils détournent, ridiculisent et désacralisent tous les rites et les conventions sociales qui fondent nos représentations de la société moderne… ¶
Diane Launay
Gombrowiczshow, de Sophie Perez et Xavier Boussiron
Conception : Sophie Perez et Xavier Boussiron
Textes : Witold Gombrowicz, Sophie Perez, Xavier Boussiron
Avec : Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Gilles Gaston-Dreyfus, Françoise Klein, Marlène Saldana
Musiciens : Marie-Claude Brébant, Xavier Boussiron
Scénographie : Sophie Perez, Xavier Boussiron
Costumes : Sophie Perez, Corine Petitpierre
Musique : Xavier Boussiron
Images et régie générale : Laurent Friquet
Lumière : Fabrice Combier
Régie lumière : Jérôme Delporte
Son : Sébastien Villeroy
Régie plateau : Anne Wagner, dit Reinhardt
Photo : Laurent Friquet
Théâtre Sorano • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse
http://www.sorano-julesjulien.toulouse.fr/
Réservations : 05 34 31 67 16
4 et 5 février 2009 à 20 heures
Bus no 1, arrêt Jardin-Royal, bus no 24, arrêt Ozenne
Métro : Carmes ou Palais-de-Justice (ligne B)
Spectacle proposé dans le cadre du festival C’est de la danse contemporaine
Tarifs de 8 € à 19 €