Beaucoup de bruit pour… Hamlet !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Bruit, fureur et histrionisme : Thibault Perrenoud exhibe l’hyperthéâtralité d’Hamlet jusqu’à l’épuisement. Sa mise en scène donne ainsi un coup de jeune à la pièce mais en estompe bien des nuances. Dommage.
On concèdera à Thibault Perrenoud que toute traduction est une trahison. Pas question donc d’ergoter sur la très libre traduction que Clément Camar-Mercier a élaborée au fil des répétitions pour la compagnie Kobal’t. On ne saurait reprocher non plus à la proposition de déroger à une doxa shakespearienne, alors même que sa joyeuse impureté caractérise le théâtre élisabéthain. Enfin, on admet sans problème que le mythe d’Hamlet se prête tout particulièrement aux visions les plus osées.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que justement, la compagnie Kobal’t propose une lecture forte de la pièce. Hamlet y devient un carnaval macabre, volontairement transgressif et excessif. La pièce, surtout, est interprétée comme une célébration du théâtre. Ainsi, l’ingénieuse et belle scénographie de Jean Perrenoud nous place-t-elle au même niveau que les comédiens, voire au milieu d’eux. Estrades, lustres et fumigènes nous rappellent aussi sans cesse que nous sommes au spectacle.
Le crâne méconnaissable de Yorick, le comédien.
Dans cette mise en scène, les acteurs se taillent la part du lion. D’une part, ils changent de rôles : Gertrude est Ophélie, le fantôme du père revient à la vie sous les traits de son frère félon. Guillaume Motte est le fils (Laerte) comme le père (Polonius). Pourquoi pas ? Le parti pris trouverait notamment des justifications dans les lectures psychanalytiques de la pièce. Seulement, comme pour différencier leurs personnages, les acteurs finissent par les gauchir. Ils forcent le trait. Et comme Hamlet peine à reconnaître le crâne de Yorick, histrion chéri de son enfance, on a du mal ici à entendre le texte.
D’autre part, Thibault Perrenoud fait d’Hamlet un comédien au carré qui ne cesse de créer une connivence avec le public, et le joue avec un expressionnisme voisin du cabotinage. Le voici bavant, à demi nu et nous offrant selles et viscères en pâture. Et quand, par instant, fragile, l’émotion surgit, il faut que la farce l’écrase dans l’œuf. On a pu admirer l’étendu du talent de Pierre-Stefan Montagnier, Thibault Perrenoud ou Aurore Paris sous la direction de Brigitte Jaques-Wajeman, on est un peu triste de ne retrouver ni leur sens de la nuance ni leur empathie pour les personnages. La liberté du théâtre shakespearien serait-elle un piège ?
Chaque spectateur tranchera. Difficile de ne pas entendre le rire des lycéens présents dans la salle, de ne pas percevoir le plaisir d’une bonne partie du public. Mais nous sommes ressortis, pour notre part, déçus par les effets de manches, assourdis par le tumulte de la scène. Ni la scénographie, ni le beau travail sur les lumières n’ont su nous consoler. N’y a-t-il pas quelque chose de pourri au royaume du théâtre quand une pièce perd sa polysémie, son délicieux foisonnement ? ¶
Laura Plas
Hamlet, d’après William Shakespeare
Nouvelle traduction, adaptation et dramaturgie : Clément Camar-Mercier
Mise en scène : Thibault Perrenoud
Collaboration artistique : Mathieu Boisliveau
Avec : Mathieu Boisliveau, Pierre-Stefan Montagnier, Guillume Motte, Aurore Paris, Thibault Perrenoud
Durée : 2 h 10
À partir de 12 ans
Théâtre de La Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris
Du 9 janvier au 6 février à 20 heures, relâches les dimanches
De 15 € à 25 €
Réservations : 01 43 57 42 14
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