« Hamlet » sans cou… ni tête
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Leur précédente réalisation (« Rêves » de Wajdi Mouawad) m’avait emballé. Je me suis donc rendu dès que j’ai pu au Théâtre Mouffetard où Les Sans Cou (c’est le nom de la troupe) servent un « Hamlet » à la mode. Leur jeune chef Igor Mendjisky a touillé et laissé réduire le coriace chef-d’œuvre pour en tirer deux heures survoltées d’on ne sait plus trop quoi. La pièce a volé en éclats, reste le personnage étonnamment incarné par Romain Cottard, qui cosigne aussi l’adaptation. Un « Hamlet » pas désagréable. Un peu vain.
La pièce a ses avantages. Même si beaucoup ignorent les noms des autres protagonistes (à part Ophélie), chacun en connaît en gros les principales péripéties : le spectre, l’affreux tonton qui a tué le père pour avoir la mère, Hamlet qui se fait passer pour fou et peut ainsi tuer le père de sa copine, laquelle en devient folle (mais elle, pour de bon), se suicide et sera vengée par son frère qui tue Hamlet, puis meurt lui-même. On y attend, sinon espère, les légendaires : « Quelque chose est pourri… », « Être ou ne pas être », « Des mots, des mots, des mots… », « Va dans un couvent ! » « Hélas, pauvre Yorick ! », sans oublier le remarquable : « Le théâtre, voilà le piège où prendre la conscience du roi ! ».
En lecteurs avisés, Igor Mendjisky et Romain Cottard se gardent bien d’ailleurs d’en oublier un seul dans leur adaptation plutôt fidèle. Même si on peut y déplorer des familiarités telles que « On se caille les miches », « Il a pété un câble » et autres « slibards » en dessous de la ceinture. Shakespeare, qui en a vu d’autres, est assez grand pour se défendre. Le problème est ailleurs : déjà dans ce rythme boulevardier infligé à la moindre scène. Ce côté crevant des jeunes, émaillé des obligatoires extraits de musique funky. Ensuite, et c’est plus grave, ni les souverains ni Ophélie ne parviennent à s’imposer dans ce marathon peut-être mental. Ils seraient tous morts et « reviendraient » témoigner…, quelque chose dans ce genre.
En fait de cour du Danemark, on serait plutôt dans un boui-boui
Est-ce pour cela qu’ils vivent si peu ? La reine fait tout sur le même ton de « Passe-moi le sel » et réussit à jouer presque toute sa scène terrible avec Hamlet (« Tu veux me tuer ?! Au secours ! », acte III, scène iv) les bras le long du corps. Ophélie, elle, se borne à mouiller ses yeux charbonneux et sa voix jusqu’à sa scène bien sage de folie. Pourquoi au fait se suicide-t-elle ? Passons au roi, qui lui aussi se cantonne dans le service minimum, faisant de son fourbe un rustre. En fait de cour du Danemark, on serait plutôt dans un boui-boui, où erre, au mieux, son patron mal rasé, en aucun cas un tueur. Les costumes très tendance, donc effrontément tartes, n’aidant que les initiés à s’y retrouver dans ce maniérisme.
En somme, rien de bon ? Mais si. D’abord Romain Cottard qui est un Hamlet exceptionnel, tant par l’humour que par sa présence et son impressionnante intelligence du texte. Qu’il soit seul ou en compagnie des inénarrables Guildenstern et Rosenkrantz (Clément Aubert et Imer Kutlolovci, tous deux excellents), ce jeune acteur a le don de relancer l’intérêt. Il a en outre eu le courage d’oser ridiculiser le personnage, ce qui est un des secrets de Shakespeare. De temps en temps, donc, ça le prend, notre dandy « pique sa crise ». Il se ficherait des claques ! Fin et bien vu.
C’est l’aspect le plus réussi de ce spectacle bancal : la tête est ressemblante. Le corps, ma foi, c’est une autre histoire. Réduite à sa partie comique, elle marche chaque fois que Hamlet bouffonne. Seul ou en compagnie de Guildenstern et de Rosenkrantz, les fous de la pièce que Mendjisky a tout à fait raison de faire revenir sous d’autres formes : les acteurs, le prêtre, le fossoyeur… Belles scènes du « théâtre dans le théâtre » et du « crâne de Yorick » dans le cimetière. Ça fait tout de même un petit corps, auquel il manque la peur que doit inspirer le roi. Cette peur, cette terreur même, qui donne à la folie de Hamlet son sens et son courage. ¶
Olivier Pansieri
Hamlet, de William Shakespeare
Adaptation : Igor Mendjisky et Romain Cottard
Mise en scène : Igor Mendjisky
Assistant à la mise en scène : Clément Aubert
Avec : Clément Aubert, Romain Cottard, Fanny Deblock, James Champel, Yves Jego, Imer Kutlolovci, Dominique Massat, Arnaud Pfeiffer
Costumes : May Katrem
Lumières : Thibault Joulié
Musique : Hadrien Bongue
Photo : © D.R.
Production Les Sans Cou, avec le soutien d’Atelier Théâtre Actuel
Grand Prix du jury au Festival d’Anjou
Théâtre Mouffetard • 73, rue Mouffetard • 75005 Paris
Réservations : 01 43 31 11 99
Du 20 janvier au 19 mars 2011, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures
Durée : 1 h 50
24 € | 16 € | 8 €