Un bouffon tragique
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Dans une traduction de Marius von Mayenburg (on serait parfois tenté de dire plutôt une adaptation), Thomas Ostermeier, le patron de la Schaubühne habitué du Théâtre national de Bretagne à Rennes, présente sa vision d’une des pièces les plus célèbres de Shakespeare, « Hamlet ». Cette version iconoclaste a su séduire le public jeune quand elle laissait plus perplexe les plus anciens.
Inutile évidemment de présenter l’intrigue de Hamlet. La première scène, comme l’a écrit Élise Noiraud, donne « envie de pleurer tout en jubilant ». C’est du grand art. Ostermeier y dose habilement le tragique, le tragi-comique et le burlesque. La pièce va évoluer sans cesse entre ces registres et plus spécialement les deux derniers. Il en est ainsi, par exemple, de la scène du festin où la reine Gertrud exécute une sorte de danse des sept voiles sur fond de musique orientalisante ou quand elle chante en français. Hamlet lui-même a le profil physique d’un garçon (un peu trop) bien nourri et gros consommateur de bière. Le registre habituel de la pièce est le bruit et la fureur sur fond d’une grande beuverie de ce breuvage au houblon.
Dans cette atmosphère, le duo entre Ophélie (remarquable Judith Rosmair qui joue aussi Gertrud) et Hamlet (excellent Lars Eidinger) est un moment à part, une scène totalement déchirante. Robert Beyer incarne à ravir un Polonius radoteur et ridiculement gonflé d’une importance qu’il n’a pas. Urs Jucker compose Claudius, l’usurpateur, généralement patelin et bonhomme, mais qui sait être inquiétant.
Un effet clip
L’axe essentiel d’Ostermeier semble être de montrer le pouvoir de la comédie et la comédie du pouvoir. De ce point de vue, le recours (parfois irritant par son côté systématique) à la projection vidéo d’images prises en direct sur le plateau par l’un des protagonistes est évidemment un outil indispensable. Le procédé permet de jouer à la fois de la dramatisation par le gros plan et de la distanciation par la mise en abyme : nous voyons les personnages se regarder et nous montrer qu’ils se regardent. L’esthétique de ces images, souvent floues, tremblantes, déformées, fait naturellement mouche auprès des plus jeunes, adeptes des images issues de téléphones portables et autres webcams. Il y a un effet clip dans tout cela qui séduit, comme plaisent le mélange des genres et les clins d’œil à l’actualité.
La pièce y gagne-t-elle en intelligibilité ? Sans doute pas. Hamlet y apparaît surtout comme un fou. Il lui arrive de jouer avec sa folie, mais il s’y perd. On a du mal à faire la fine bouche devant une pièce accueillie très favorablement à Avignon et qu’une partie du public a applaudie debout. Mais, tout en reconnaissant de beaux moments de grâce théâtrale, pourquoi ne pas confesser qu’on a parfois trouvé le temps un peu long ? ¶
Jean-François Picaut
Hamlet, de William Shakespeare
Spectacle en allemand surtitré en français
Traduction de Marius von Mayenburg
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Robert Beyer, Lars Eidinger, Urs Jucker, Judith Rosmair, Sebastian Schwarz, Stefan Stern
Dramaturgie : Marius von Mayenburg
Scénographie : Jan Pappelbaum
Costumes : Nina Wetzel
Musique : Nils Ostendorf
Vidéo : Sébastien Dupouey
Lumières : Erich Schneider
Photo : © D.R.
Production : Schaubuhne am Lehniner Platz-Berlin ; Festival d’Avignon ; Hellenic Festival (Athènes)
Avec l’aide de l’O.N.D.A pour les surtitres
Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Du 20 au 22 avril 2011 à 20 heures
Durée : 2 h 45
24 € | 12 € | 10 €