« Happy Child », de Nathalie Béasse, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

« Happy Child » © Cie Nathalie-Béasse

Béasse nous laisse béats

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

C’est avec curiosité que je me suis rendue au Théâtre du Point‑du‑Jour pour y voir un spectacle de l’inconnue à qui Gwenaël Morin vient de remettre les clés pour quatre mois, « Happy Child ». J’en ai été bien récompensée !

À vrai dire, mon intérêt était d’autant plus éveillé que j’avais été farfouiller sur le site de Nathalie Béasse. J’y avais découvert qu’elle était artiste associée au Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire, que son travail lorgnait aussi du côté de la danse et des performances. Surtout, j’avais regardé les courtes vidéos de ses créations. Pas de doute, une écriture originale et puissante s’en dégageait.

C’est un spectacle qui ne se donne pas tout de suite. On y parle peu, et souvent en langue étrangère, anglais ou allemand, les personnages ne sont guère identifiables, et sans doute est-ce volontaire : les acteurs se travestissent et se transforment. On comprendra rapidement qu’ils jouent. Qui sont-ils vraiment ? Ils ont pourtant des prénoms, ceux des comédiens, signe que cette compagnie crée par un travail de plateau. Maigre indice qui, néanmoins, va en laisser percer d’autres : les affinités ou les rancœurs entre les uns et les autres, ou encore, subtilement, un éclat d’histoire éclairant bien des choses à la manière d’un flash-back. Ainsi, quand est suggéré qu’Érik, le fils aîné, a été maltraité par le père, on se rappelle les premières images du spectacle quand le même Érik transporte des coulisses, tel Sisyphe, de lourds sacs de plastique remplis d’on ne sait quoi. Le dernier sac toutefois délivrera son contenu : une petite main en sort…

Entre danse et théâtre, un kaléidoscope

Dès le départ, il apparaît qu’il est question de retrouvailles : à une sorte de grande familiarité mais aussi de réserve, de sensibilité à fleur de peau. Les vieilles blessures ne sont pas loin et ne sont manifestement pas cicatrisées. C’est progressivement que l’on va comprendre qu’il s’agit de cinq frères et sœurs réunis par la mort du père. Cette situation s’inscrit au cœur de maints pièces ou films. Dans Happy Child, elle est explorée à la manière d’un livre pop up ou à tirettes, et c’est toute l’enfance qui en surgit par éclairs successifs. Dans ce contexte très particulier à la fois libre et contraint, l’enfant de jadis s’exprime dans l’adulte et prend parfois toute la place. Il le fait de façon désordonnée, inappropriée, car ce sont des corps d’adulte qui se cachent maintenant sous les tapis, se poursuivent en courant comme de jeunes fous, se poussent, se déguisent avec de vieux oripeaux tombés du ciel, superposant bonnets, manteaux et accessoires, se moquant de la température ambiante. Et c’est drôle, car cela résonne à la mémoire de chacun d’entre nous.

« Happy Child » © Cie Nathalie-Béasse
« Happy Child » © Cie Nathalie-Béasse

Happy Child requiert des comédiens un fort engagement physique : courir, monter, descendre, se glisser, se battre et recommencer une fois, deux fois, trois fois comme un enfant est épuisant, et leur travail gymnique est époustouflant. Certains sont passés par la danse, en particulier Anne Reymann, et cela se voit. Ils marquent le plateau d’une présence à haute densité et d’une énergie peu commune. Ces performances exigent aussi une direction d’acteurs minutieuse, où Nathalie Béasse s’illustre, tirant de chacun le meilleur… Quelques moments de grâce s’immiscent çà et là, quand tel ou tel se met au piano, réunissant les autres autour de lui, figés dans le souvenir heureux, rassemblés, unis.

Happy Child renvoie les adultes que nous sommes à leur enfance. Comme tel, il fait naître des émotions, lance des clins d’œil, demande qu’on se laisse porter. À la lisière du théâtre et de la danse, c’est un spectacle juste et sensible, magnifiquement interprété. S’il est un peu tard pour le voir, trois autres suivront, à découvrir. 

Trina Mounier


Happy Child, de Nathalie Béasse

http://www.cienathaliebeasse.net/

Conception, scénographie, mise en scène : Nathalie Béasse

Avec : Étienne Fague, Karim Fatihi, Érik Gerken, Anne Reymann, Camille Trophème

Lumières : Nathalie Gallard

Bande sonore : Julien Parsy

Régie son : Nicolas Lespagnol

Couturière : Laure Chartier

Sculpture : Corinne Forget

Photos : © Cie Nathalie‑Béasse

Cette création est réalisée grâce au soutien en production et en résidence de création de Open Arts / le Quai et du Centre national de danse contemporaine à Angers. La compagnie Nathalie‑Béasse est conventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication / Drac des Pays de la Loire, soutenue par la région des Pays de la Loire, le département du Maine‑et‑Loire et la ville d’Angers

www.lepointdujour.fr

04 72 38 72 50

Du 5 au 15 septembre 2016 à 20 heures, relâche le 10

Durée : 2 h 20

Tarif : 5 €

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