« Hikikomori, le refuge », de Joris Mathieu, Théâtre Nouvelle Génération à Lyon

Hikikomori, le refuge © Nicolas Boudier

Autisme

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

La nouvelle création de Joris Mathieu, et sa première au T.N.G. dont il assume désormais la direction, ne pouvait que susciter la curiosité. D’une part par son thème, mais aussi par le dispositif scénique et le parti pris qui l’accompagne : faire entendre une version différente en fonction de l’âge des spectateurs. Et après ?

Le titre, délibérément japonais, renvoie aux mangas dont les adolescents raffolent, à leur graphisme répétitif et terne, aux stéréotypes qu’ils véhiculent. Il annonce aussi clairement le thème choisi : le repli sur soi, l’enfermement volontaire de certains adolescents qui se coupent du monde, ce qui, bien entendu, inquiète les adultes, au premier rang desquels les parents.

Le spectacle de Joris Mathieu projette à la fois de décrire le phénomène et ses répercussions sur la cellule familiale (réduite en l’espèce, nous sommes au Japon, aux seuls père et mère de Nils, l’enfant) et de nous faire entrer par effraction dans son univers, tout en nous faisant vivre une expérience insolite de spectateur.

Arrêtons-nous un moment sur le dispositif, novateur : en pénétrant dans la salle, chacun se voit remettre un casque audio doté d’une pastille de couleur en fonction de sa version (enfant, adolescent ou adulte). Ce qui a comme premier effet de ralentir considérablement l’entrée et de retarder le début du spectacle d’une petite demi-heure. C’est par ce truchement que nous parviendra une voix qui racontera ses émotions de l’intérieur.

Ce qui, au passage, peut être considéré comme la négation même du théâtre, celui-ci reposant précisément sur les interactions entre des personnages. Qui plus est, l’intérêt majeur du théâtre, comme du cinéma, est de pouvoir échanger ensuite sur ce qu’on a vu et entendu et de découvrir qu’on peut comprendre des choses diverses à partir d’une même réalité. C’est ce qui ouvre à la différence et à l’intelligence.

À la sortie de Hikikomori, chacun enlève son casque et repart dans son coin. Le casque aura eu pour effet principal de l’isoler. En poussant ce dispositif à l’absurde, on peut imaginer la prochaine fois un open space où chacun, comme dans Livre in Room, choisira ce qu’il veut voir comme spectacle.

Expérimental et désincarné

Revenons à ce qui se passe sur le plateau gris sur lequel trône un immense écran gris. Devant lui une sorte de coursive terminée par une porte à cour et une entrée de tunnel à jardin. Nils est dans les coulisses à jardin, nous ne le verrons pas. Son père et sa mère, tout habillés de gris (sauf des collants rouges pour la mère), tout aussi solitaires que lui, passent la majeure partie du spectacle chacun d’un côté. Ils ne se parlent pas et sont manifestement inquiets de ne pouvoir engager une relation avec leur enfant. Ils finissent par avoir une idée et coiffent eux aussi un casque qui va leur permettre de se promener dans l’esprit de leur enfant. Jusqu’au moment où ils vont physiquement y entrer, ce qui leur impose de se faire tout petits.

La vidéo qui donne accès à l’univers de Nils, pour grise qu’elle soit, est plutôt esthétiquement réussie. Elle nous montre un monde étrange, peuplé de totems – l’orignal pour Nils, le loup pour son père, références sans doute au Merveilleux voyage de Nils Olgerson.

Que dire de plus ? Qu’on peut rester extérieur, voire hermétique, à ce spectacle qui fait de l’utilisation des technologies contemporaines un outil de plus de distanciation, qui évacue la vie, ses couleurs, son mouvement, son bruit, ses rires et ses larmes ? Comment s’intéresser à un enfant qu’on ne voit pas ? à des parents qui se déplacent lentement et silencieusement ou restent prostrés, ne se parlent pas plus qu’ils ne s’adressent à nous ? 

Trina Mounier


Hikikomori, le refuge, de Joris Mathieu

Écriture et mise en scène : Joris Mathieu en compagnie de Haut et Court

Avec : Philippe Chareyron, Vincent Hermano, Marion Talotti

Dispositif scénographique : Nicolas Boudier, Joris Mathieu

Création sonore : Nicolas Thévenet

Création lumières : Nicolas Boudier

Création vidéo : Loïc Bontemps, Siegfried Marque

Photo : © Nicolas Boudier

Production : Théâtre Nouvelle Génération

Blog de la création / médiation et suivi des répétitions : Maud Peyrache

Avec la participation de Lelio Wajnsztein

T.N.G. • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon

04 72 53 15 15

www.tng-lyon.fr

Du 8 au 12 janvier 2016

Les 8, 9 et 10 janvier à 20 heures

Séances scolaires les 11 et 12 à 10 heures et 14 h 30

Durée : 1 heure

De 10 € à 18 €

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