« Histoire de Marie », de Brassaï, Théâtre de la Passerelle à Limoges

Histoire de Marie © D.R.

Au centre, au cœur, à la blessure

Par Vincent Cambier
Les Trois Coups

Je suis retourné voir « Histoire de Marie », de Brassaï, que j’avais vu dans le Off d’Avignon en juillet 2007. Mais, cette fois-ci, c’était sur « son terrain », sur son terreau d’origine, la matrice : le Théâtre de la Passerelle à Limoges, ironiquement situé dans une rue avec un nom de général. Spectacle à la fois le même et tout à fait autre. En tout cas une claque sèche et éblouissante.

Je vous rappelle l’histoire puisque, paraît‑il, il le faut quand on écrit une critique de spectacle. Marie Mallarmé est une pauvresse qui a travaillé toute sa vie comme une brute. Au service des autres, des patrons, des exploiteurs, petits et grands : la lessive, le ménage, le nettoyage de tout et du reste, notamment des cabinets. Elle préfère ça aux escaliers, Marie, les chiottes.

Oh, elle est pas bégueule et pas fainéante, Marie. Elle sait bien que quand on n’a que ses bras pour gagner trois sous, il faut se bouger le cul et savoir fermer sa gueule. Raser les murs, même, s’il le faut. Comme tout pauvre mal armé qui sait où est sa « place », attribuée par la société. Chacun son rang ! Et il n’est pas question de soulever la couverture du classement hiérarchique. D’ailleurs, le tolérerions-nous ? Combien d’assassinats silencieux avons-nous ainsi sur la conscience ?

Mais, quand même, c’est une grande gueule, Marie. Et elle se laisse pas faire, la « vieille ». Alors, pour la faire taire, la remettre à sa place – ça dit bien ce que ça veut dire –, on lui fait un procès. Pour lui enlever son seul « bien » : la niche qu’elle loue au 8e étage et qu’on appelle un appartement. On veut la foutre dehors sous des prétextes à la con. Mais, Marie, elle a pas le pouvoir des mots pour se défendre. Puisqu’elle connaît les lettres de l’alphabet, mais elle sait pas les assembler pour faire une phrase…

Brassaï a injecté dans les veines de son texte une drogue dure purement théâtrale. L’auteur ne s’embarrasse pas de circonvolutions littéraires pour faire joli. Il ne se la joue pas grand auteur, il ne roule pas des biceps « poétiques » pour épater la galerie. Il ne « pense » pas, non plus. Il va au centre, au cœur, à la blessure, à la crasse. Au nerf même de l’action. Et ça dépote…

Michel Bruzat – metteur en scène sorcier de la direction d’acteurs – et Franck Roncière – artiste sculpteur de clairs-obscurs – ont parfaitement compris l’œuvre de Brassaï et nous la restituent dans toute sa pureté incandescente. Ils nous brûlent l’âme avec les mots et les lumières. Quant à Marie Thomas, elle nous offre Marie Mallarmé avec toute sa hargne, toute sa drôlerie, toute sa rude générosité, toute sa grâce, tout son corps, tous ses viscères. Cette comédienne exceptionnelle s’immole par le feu d’une crucifixion en rose. C’est à prendre ou à laisser. Moi, je prends. Tout. 

Vincent Cambier


Histoire de Marie, de Brassaï

Mise en scène et adaptation : Michel Bruzat

Texte des chansons : Jean‑Pierre Siméon

Avec : Marie Thomas

Musique : Sébastien Mesnil

Lumières : Franck Roncière

Costumes : Dolorès Alvez‑Bruzat

Théâtre de la Passerelle • 5, rue du Général-du‑Bessol • 87000 Limoges

05 55 79 26 49

theatre-de-la-passerelle87@wanadoo.fr

Mercredi 26 décembre au samedi 29 décembre 2007 à 20 h 30

Dimanche 30 décembre à 18 heures et lundi 31 décembre 2007 à 20 heures et 22 heures

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