L’interprétation fait honneur au texte de Marie NDiaye
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Frédéric Bélier‑Garcia met en scène une fable politique déroutante de Marie NDiaye. La « morale » de l’histoire reste bien mystérieuse. C’est peut-être dans cette pluralité d’interprétations que réside la force du texte.
Maire d’une ville portuaire, Notre Élue est un modèle de probité. Ses administrés l’adulent et renouvellent son mandat les yeux fermés. Même le seul et unique opposant est contraint d’admettre la droiture morale et le charme naturel de Notre Élue. L’Opposant prend toutefois son rôle à cœur et ourdit un complot « franchement dégueulasse à lui jeter dans les pattes ». La combine prend la forme de deux odieux personnages prétendant être les parents de Notre Élue alors que cette dernière les sait morts. Tandis que le couple infernal sape son image et corrompt ses enfants, l’Élue ne fait rien pour rétablir la vérité. La chute devient ipso facto inévitable.
« Les peuples heureux n’ont pas d’histoire » selon Georges Pompidou. L’histoire que nous raconte Marie NDiaye débute justement lorsque l’Opposant décide d’enrayer la marche heureuse de la gouvernance en place. En nous tendant le miroir inversé de notre réalité politique, l’auteur questionne notre rapport au pouvoir. Les figures quotidiennes de la dramaturgie politique évoluent en allégories : Notre Élue renvoie à l’incorruptibilité tandis que l’Opposant est un modèle de mesquinerie. Toutefois, sous un aspect simpliste, la fable ouvre la voie à de nombreuses interrogations : et si Notre Élue laissait faire son adversaire par orgueil ? Ou par culpabilité ? Sa destitution n’est-elle pas consentie ? L’Opposant qui, obsédé par une volonté d’alternance, s’écroule une fois arrivé au pouvoir n’a-t‑il pas un côté plus humain et rassurant que l’incarnation d’une prétendue intégrité morale sans faille ?
Les décors successifs permettent d’observer toutes les facettes de l’animal politique : depuis le décorum des arcanes du pouvoir jusque dans l’intimité du foyer. La mise en scène pèche parfois par son manque de rythme. La projection vidéo de la scène d’exposition est, par exemple, assez fastidieuse, même si l’idée d’introduire une dimension médiatique à la pièce était intéressante.
Malgré une distribution hétérogène, l’interprétation fait honneur au texte très littéraire de Marie NDiaye. Patrick Chesnais est remarquable en Opposant veule fantasmant sur son ennemie politique, incarnée par une Isabelle Carré tout en sobriété. Au-delà des têtes d’affiche qui ne déçoivent pas, certains seconds rôles apportent des contrepoints comiques appréciables. Jean‑Paul Muel et Chantal Neuwirth, qui campent les parents-parasites, semblent tout droit sortis d’un épisode de « Strip‑tease » tandis que Jean‑Charles Clichet est plus que crédible en conseiller politique aux dents longues.
La pièce de Marie NDiaye rencontre un écho évident à la veille des présidentielles. Même si la fiction se veut allégorique, les questions qu’elle soulève nous ramènent à nos futurs choix politiques… qui sont eux bien réels ! ¶
Bénédicte Fantin
Honneur à Notre Élue, de Marie NDiaye
Mise en scène : Frédéric Bélier‑Garcia
Avec : Isabelle Carré, Patrick Chesnais, Jean‑Charles Clichet, Claire Cochez, Romain Cottard, Jan Hammenecker, Jean‑Paul Muel, Chantal Neuwirth, Agnès Pontier, Christelle Tual
Avec les voix de : Sarah‑Jane Sauvegrain, Sébastien Eveno, David Migeot
Avec les images du chœur des jeunes dirigé par Christine Morel / conservatoire à rayonnement régional d’Angers
Collaboration artistique : Caroline Gonce
Scénographie : Chantal Thomas
Lumière : Roberto Venturi
Son et création musicale : Sébastien Trouvé
Vidéo : Pierre Nouvel
Costumes : Pauline Kieffer, assistée de Camille Pénager
Maquillage et coiffure : Catherine Nicolas
Régie et artistes de complément : Jean‑Christophe Bellier, Sacha Estandié
Photos : © Giovanni Cittadini Cesi
Théâtre du Rond‑Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr/
Métro : Franklin‑D.‑Roosevelt, Champs‑Élysées-Clémenceau
Du 1er au 26 mars 2017, du mardi au samedi à 21 heures, dimanche à 15 heures
Durée : 1 h 40
40 € | 30 € | 20 € | 18 € | 14 €