Joyau bordel
Laura Plas
Les Trois Coups
C’est parti pour un nouveau cycle avec « Hourvari ». Un tour de piste ébouriffant de virtuosité et de liberté. Guignol, en maître de cérémonie nous y décadre sans cesse pour nous apprendre la désobéissance volontaire.
Le cycle des ors s’est achevé. Une nouvelle ère commence : l’occasion pour Marie Molliens d’expérimenter encore « cette vibration intranquille » qui est au cœur de son travail. Spectacle charnière, Hourvari, interroge précisément en filigrane sur la transmission. Outre les gueules emblématiques de la compagnie, on découvre en effet une vieille femme douce et belle, de jeunes compagnons rencontrés au CNAC et dont les visages sont si lisses, encore, des enfants, enfin. On a bien en piste toutes les générations, comme pour demander : qu’est-ce que transmettre ? Est-ce qu’on peut apprendre sans maître ? Est-il une école où on ne serait pas une marionnette ?
Comme Alice Laloy, Marie Molliens joue ici d’un inquiétant cousinage entre l’acrobate et le pantin. Les corps se plient, se contorsionnent. Il semble qu’on pourrait leur faire tout endurer pour le plaisir du spectateur. Poudrés de blanc, les interprètes sont manipulés, déposés ou suspendus au cadre du chapiteau comme des chiffes. On est éblouis par la virtuosité de tous leurs numéros (contorsions, portés, sangles aériennes), jusqu’à un final trépidant de bascule. Or, la référence à la marionnette nous convoque en territoire d’enfance, mais aussi de cruauté : pour preuve l’ouverture plus que sarcastique du spectacle où un pauvre musicien se fait malmener par un Guignol très en verve.
Une pluie multicolore à jamais suspendue
En définitive, la marionnette permet de faire l’expérience du risque jusqu’à défier cette mort qui attend toujours son heure, tapie dans les recoins du cirque. Le masque blanc des pantins circassiens est peut-être celui des danses macabres, des pestiférés que l’on devine dans des tableaux de cirques somptueux. Là, des croque-morts encapuchonnés dansent sur le son étrange de cloches (apotropaïques ?) ; ici, une vieille femme transmet son dernier souffle à ceux qui prendront la relève sur la piste. Tout, jusqu’à la scénographie, se déglingue, s’effondre de manière extraordinaire et belle, à l’instar de cette guirlande lumineuse à laquelle s’accroche désespérément une géniale artiste aérienne.
L’esthétique est sophistiquée. Marie Molliens met en scène comme on peint. Le grenat passé, le rouge sang, le jaune des lumières de la rampe, les touches multicolores de confettis qui volètent dans la lumière forment sa palette. Et c’est parfois beau à serrer le cœur.
Décadrage libertaire
On a parlé de Guignol, mais Pinocchio, le pantin enfant est là aussi, dans un gamin têtu qui fonce tête baissée sur son vélo. Dans un autre qui refuse de rester rivé à son bureau : petit âne devenu animal pour de vrai, malmené et se rebiffant. Il est dans ce cancre qui dit non avec la tête, qui dit oui avec le cœur. Il déchire son abécédaire, quand il en a fait le tour, mais fildefériste appliqué, il suit son chemin sur un fil parallèle à celui de sa mère.
Ode à la liberté, le spectacle l’est aussi par son esthétique du décadrage et son refus de la hiérarchisation. D’ailleurs, un voile rouge stimule notre envie de voir, tout en créant un effet de sfumato. La piste trace ainsi une frontière entre les spectateurs qui ne peuvent discerner les mêmes éléments. Il faut donc accepter de ne pas tout maîtriser. D’autant qu’il il se passe toujours quelque chose dans les marges : des musiciens jouent d’instruments magnifiques, un petit orchestre d’animaux et d’enfants mène sa vie, une vieille femme et un pantin désarticulé attendent, un enfant regarde, hypnotisé, ses parents en scène, ou au contraire des parents veillent sur leur enfant de près ou de loin. Bref, là aussi, bat le cœur d’une troupe.
C’est aussi, sans doute, ce qui fait que le spectacle offre plusieurs niveaux de lecture : populaire ou plus savant, joyeux ou plus mélancolique. C’est aussi pour cela que petits et grands étaient debout à la fin du spectacle : tristes que ce soit fini, déjà impatients de découvrir la suite.
Laura Plas
Hourvari, de Marie Molliens
Cie Rasposo
Écriture, mise en scène, création lumière : Marie Molliens
Avec : Robin Auneau, Eve Bigel, Camille Judic, Claire Mevel, Niels Mertens, Marie Molliens, Tiemen Praats, Benoit Segui, Joséphine Terme, Seppe Van LooverenDurée : 1 h 30
Dès 8 ans
Le Sirque PNC • 6, place de L’église • 87800 Nexon
Du 6 au 8 décembre 2024
Tournée ici :
• Du 17 au 26 janvier 2025, dans le cadre de la BIAC, à Marseille (13)
• Du 30 avril au 2 mai, 13e Sens, dans le cadre du festival Pisteurs d’Étoiles, à Obernai (67)
• Du 7 au 8 mai, Association TRAC / Jonglissimo, en partenariat avec Les Jardins Parallèles et la Ville de Betheny (51)
• Du 14 au 15 mai, Le TCM, Théâtre de Charleville-Mézières (08)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Oraison, Marie Molliens, par Léna Martinelli
☛ Balestra, Marie Molliens, CNAC, par Léna Martinelli
Photos : © Ryo Ichii