Tout terrain !
Multi-pistes est de retour. On pourra toute la journée et à tout âge y faire son cirque dans des ateliers, s’ébaudir sur la pelouse un peu jaunie du château, égayer ses papilles par un tour des food-trucks, boire des verres entre ami·e·s ou guincher jusqu’au bout de la nuit. Alors, on sortira une petite laine car le fond de l’air est revigorant. Quant à la programmation, elle est tout terrain. Non seulement, elle décline de multiples formes (théâtre de rue, soli de cirque, grosse forme à ample distribution), mais les spectacles ont envahi toute la jolie ville de Nexon, son château, ses monts et vaux. Premier coup de projecteur sur une soirée de spectacles à la fraîche.
Nous avons grimpé jusqu’au Jardin des sens. À nos pieds, se déployaient les jardins du château et, plus loin, les toits de ville. Il faisait encore un peu chaud à six heures, mais les bonnes âmes du Sirque aspergeaient les valeureux spectateurs encore baignés de soleil. Nous étions assis sur des bancs, dans l’herbe avec le ciel immense par-dessus la tête et, devant nous, un assemblage de planches pas très reluisant, des cordes, des bouts de métal. Était-ce un plateau, un esquif ? Les deux peut-être, en tout cas rien ne suggérait que de ce radeau, nous sortirions amusés et peut-être médusés.
La tectonique des planches
En effet, Instable commence mal. Un petit gars s’avance, modeste, bonhomme : monsieur tout le monde. Il s’avance et patatras. Les boulons s’échappent, le plateau s’incline comme une mer déchaînée ou une bête récalcitrante. Au gentil grommelot de détresse de celui qui a osé le fouler, il oppose un grondement rageur : belle idée de sonorisation à la hauteur d’une scénographie pleine de ressources. On assiste à une vraie tectonique des planches, car ça va trembler et frissonner de plaisir. Il en faudra des chutes, des tentatives pour que notre valeureux matelot se hisse à la vigie de ce périlleux rafiot.
D’aucuns (j’en fais partie) songeront à leurs déboires de bricolage, sauf que c’est nettement plus sympathique à voir qu’à vivre. « Essayer, rater, essayer encore, rater encore, rater mieux », disait Beckett. Ça pourrait être tragique mais s’avère délicieusement burlesque. Car Nicolas Fraiseau (collectif Sismique) cultive le déboire keatonien sans arborer de masque pince-sans rire : Keaton avec la générosité d’un Chaplin. Il nous offre en effet un moment de partage : par son jeu d’acteur, il nous fait swinguer entre rire et empathie. De plus, il instaure un jeu d’échanges avec le public, récupérant au vol la remarque d’un enfant, rappelant délicatement à un autre le péril d’une aire de jeu déglinguée, chapitrant pour de faux des spectatrices qui auraient le front de se déplacer. On sent que l’artiste ne triche pas : il reste à l’écoute et accueille les réactions du public alors même que sa partition exige la plus grande maîtrise.
Le grand art de perdre
Or, sa générosité est contagieuse, comme son naturel. Les enfants en particulier, sont survoltés par les « bêtises » de cet étrange adulte. Ainsi, il y a comme deux spectacles en un : celui du radeau de l’artiste et celui de la mer remuante des jeunes spectateurs. Leurs remarques naïves deviennent parfois cabotinages, mais toujours leurs rires succèdent aux rires. En définitive, heureux, le public ne s’y trompe pas : ce virtuose du ratage réussit à renouveler l’art du mât chinois. Notre coup de cœur du jour.
« More Aura », de Véronique Tuaillon © Vincent Vanhecke
On court un peu pour se réfugier dans la salle Georges Méliès. Une fameuse hôtesse nous y attend avec un pack de Kro pour More Aura. La bière sera fraîche car bientôt cette sculpturale créature transbahute sur son dos le frigo qui sera un véritable partenaire de jeu. Entre fantasme sur le féminin et démarche de débardeur, le décalage fonctionne bien. Véronique Tuaillon dessine un personnage clownesque original et en définitive attachant. Nous serons sans cesse bousculés, harangués, perturbés par l’être hybride qui nous fait face.
Ça décoiffe ! Elle y va franco quand il s’agit de parler de sexe ou de maladie. On se réjouit que les nombreux enfants de la salle ne comprennent pas tout. Figure moderne de la mort, Christine est aussi une femme araignée aux contorsions bluffantes, et surtout un personnage confronté à la maladie de son enfant. Le rire fait ici la nique au pire. On ne s’y attendait pas.
Si le spectacle peine à trouver sa voie au début, il décolle avec la rencontre de cette mère. L’escapade de Christine avec son pote et son fils pour une baignade interdite est bien écrite : juste et forte, comme les scènes à l’hôpital. Alors même qu’on ne parvient pas à réfréner son rire, on a le cœur serré.
La rage tendue du début prend alors son sens. Sur le ring de la scène, la clowne, finalement plus Rocky que Maryline, a entamé un combat avec la mort. Si on ajoute que le spectacle, conçu pour la rue, cultive le rapport avec le public, et fourmille d’idées de mise en scène, on comprend l’engouement de la salle. Pas facile de faire rire et de toucher sur un sujet aussi délicat. C’est comme de jouer du tuba avec des gants de boxe. Véronique Tuaillon y parvient.
Pour se remettre de ses émotions, on pourra enfin découvrir l’ébauche de Naïade, la création en devenir du collectif d’apnéistes danseurs Out of the Blue. Ils sont quatre cette fois à plonger sous nos yeux pour nous proposer un voyage étrange tout en fluidité. C’est comme si l’humain, devenu poisson ; avait retrouvé la grâce, comme si ses retours réguliers en surface pour reprendre souffle nous invitaient à un autre rythme : celui de nos origines.
Le spectacle est encore une ébauche, il est proposé sous une petite forme mais, déjà, on y devine une dramaturgie : peu à peu les quatre parties se lient, s’associent pour faire ronde. On songe d’ailleurs aux toiles de Matisse. L’eau prend peu à peu vie et la rêverie se déploie, portée par une partition sonore faite de souffles, de sons étranges : un peu déconcertant mais assez planant. À suivre !
Laura Plas
Instable, du Collectif Sismique
Site de la collectif sismique
Idée originale et jeu : Nicolas Fraiseau
Collaboration artistique : Christophe Huysmans
Durée : 55 minutes
Dès 8 ans
Jardin des sens, Château de Nexon• 6, place de l’Église • 87800 Nexon
Les 13 et 14 juillet 2025
More Aura, de Véronique Tuaillon
Site de L’Asso des clous
Conception et interprétation : Véronique Tuaillon
Regard extérieur : Rémi Luchez
Durée : 1 h 10
Dès 10 ans
Espace Georges Mélies• Plaine de l’Abbaye • 87800 Nexon
Le 14 et 15 juillet 2025
Tournée ici :
• Le 22 août, dans le cadre de La P’ite Semaine, au Col d’Ornon (38)
• Le 27 août, dans le cadre du Festival Les Rias, Quimperlé (29)
• Le 6 septembre, dans le cadre du Riezestival, à Herbeys (38)
• Les 18 et 19 septembre, dans le cadre du festival Frictions(s), à Annemasse (74)
Naïade (préambules), de la cie Out of the Blue
Site de la compagnie
Conception : Frédéri Vernier, Sébastien Davis-VanGelder
Avec : Frédéri Vernier, Sébastien Davis-VanGelder, Petra Steindl, Fynn Ned
Durée : 15 minutes
Dès 8 ans
Parc, Château de Nexon • 6, place de l’Église • 87800 Nexon
Du 12 au 14 juillet 2025
Spectacles vus dans le cadre de Multi-pistes, festival de cirque, musique et arts visuels, du 12 au 16 août 2025
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Festival Multi-pistes 2025, annonce, par Léna Martinelli
☛ Festival Multi-pistes 2024, Reportage, par Léna Martinelli
Photo de une : « More Aura », de Véronique Tuaillon © Vincent Vanhecke
