Fête des pères
Laura Plas
Les Trois Coups
Installation, danse documentaire, lettre aux pères, « Israel et Mohamed » est un peu de tout cela. Un spectacle insolite, donc, et sans doute inaudible pour les fans d’Israel Galván, mais joliment facétieux, délibérément modeste, délicatement transgressif. Fraternel.
Le spectacle s’achève. Nous voici rendus aux étoiles qui parsèment le ciel du cloître des Carmes. Il y a des gens levés et joyeux, d’autres qui râlent. Ils venaient voir danser Israel Galván. Ils se sentent floués : pas de morceaux de bravoure, peu de flamenco. Et pourtant n’aiment-ils pas un artiste qui s’est inventé en cassant des codes ? La pièce, ne raconte-elle pas, entre autres, l’histoire d’un enfant qui provoque le dépit de son père en ne dansant pas comme il l’entend ?
Et puis on est venu voir Israel ET Mohamed. C’est dans la toute petite conjonction de coordination que réside l’originalité d’une proposition sans prétention, mais non sans talent. Elle pourrait s’intituler Les Deux Amis. Elle présente en effet un dialogue, entre des fils qui se sont construits à l’ombre de pères violents, entre des artistes dont l’œuvre transgresse les croyances de ces pères, entre deux univers artistiques.
Parce que je n’étais pas lui, parce qu’il n’était pas moi
L’amitié a cela de beau qu’on l’on ne cherche pas à s’imposer. En conséquence, Israel et Mohamed s’amusent à s’imiter, à s’appuyer sur les talents de l’autre. Mohamed traduira ainsi son ami espagnol, partagera avec lui sa familiarité avec les mots. Israel racontera en dansant : talons qui martèlent la colère, feulements et regards farouchement déterminés. Les deux hommes s’ouvrent par là des horizons artistiques, se donnent confiance. Alors Israel, l’enfant bègue, prendra la parole, comme son ami. Dans un final joyeux et parodique de Mario Maya, Mohamed s’essaiera à danser à son tour.
Ce dialogue intime évoque en réalité quelque chose de plus vaste. Le père de Mohamed ne s’y est pas trompé, lui qui s’est offusqué en voyant le nom de son fils accolé au nom « Israel ». Le fils d’un musulman pratiquant, dont le seul livre est le Coran, partage le plateau avec l’enfant d’un catholique, très inquiet que son héritier danse de manière efféminée. D’ailleurs, la scénographie réduite nous présente des sortes d’autels aux pères qui peu à peu se chargent d’offrandes, d’objets métonymiques. Le cloître des Carmes, lui-même, se métamorphosera d’une façon symbolique. Et l’on se demande justement comment l’œuvre s’acclimatera à d’autres lieux moins connotés.
Mais si on exprime la filiation, les violences paternelles, les religions, même le génocide perpétré en Palestine, c’est en passant. L’œuvre cultive l’anecdote en conscience. Ne parle-t-on alors de rien, comme certains journalistes l’ont prétendu ? Ne serait-ce pas plutôt que l’anecdote intime permet d’éviter les généralités, le surplomb ? Elle exprimerait une volonté de ne pas s’appesantir. Elle serait une forme d’élégance…
L’élégance de la distance
C’est vrai que ces deux-là ne pleurent pas. Ils ne font pas non plus larmoyer ce petit gars fan de foot dont le père crevait les ballons pour le ramener à la danse, cet enfant qui recevait des babouches dans la figure parce que « les gosses, il faut les éduquer comme les plants de tomates en les accrochant à des tuteurs ». Ne pas pleurer, mais au contraire brandir le rire comme bouclier contre la rancœur. Si les quatre vérités sont bien dites sur scène, Israel et Mohamed est aussi, donc au sens propre, une fête des pères. Couverts d’offrandes sincères ou vengeresses, ceux-ci ont même la parole par écrans interposés. Car Mohamed El Kathib récuse par avance ceux qui oseront les juger. Il y a une forme de douceur dans le spectacle, très éloignée de la candeur.
Israel et Mohamed n’est pas la gloire de mon père. Mais ce n’est plus le temps des secrets. Les fils ont grandi, ne cessent de grandir et… de se réinventer avec délicatesse ici et tendresse. Pas de quoi râler, pleurer, mais de quoi se réjouir.
Laura Plas
Israel et Mohamed, de Mohamed El Khatib et Israel Galván
Site d’Israel Galván
Site de Zirlib
Conception et interprétation : Mohamed El Khatib et Israel Galván
Scénographie : Fred Hocké
Vidéo : Zacharie Dutertre, Emmanuel Manzano
Durée : 1 h 15
Dès 14 ans
Cloître des Carmes • Place des Carmes • 84000 Avignon
Du 10 au 23 juillet 2025 (sauf les 14 et 18), à 22 heures
De 15 € à 45 €
Réservations : en ligne ou 04 90 14 14 14
Dans le cadre du Festival d’Avignon, 79e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
Tournée :
• Le 7 octobre, à La Halle aux grains, scène nationale de Blois (41)
• Du 10 au 20 décembre, Théâtre de la Ville Les Abbesses, dans le cadre du Festival d’automne à Paris (75)
• Les 8 et 9 janvier 2026, Scène nationale de L’Essonne (91)
• Les 30 et 31 janvier, Le Volcan, scène nationale du Havre (76)
• Du 10 au 14 février, TNB, à Rennes (35)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ La Vie secrète des vieux, Mohamed El Khatib, par Léna Martinelli
☛ Finir en beauté, Mohamed el Khatib, par Alicia Dorey
Photos : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon