Le froufrou d’ailes d’un ange
Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups
Pour ouvrir la quatrième édition de Jazz à l’Étage, Yann Martin a fait appel à un trio d’exception avec Sylvain Luc, André Ceccarelli et Thierry Eliez. Le festival a pris son envol sous les meilleurs auspices.
Chaque jour, la musique de Sylvain Luc tend un peu plus à l’épure. Mais cette apparente simplicité n’a rien à voir avec l’abstraction, elle est tout entière tendue vers l’émotion. Si l’on cherchait une comparaison, on dirait qu’Organic, son dernier album (Dreyfus Jazz / Just Looking Productions) est aux antipodes de ces breuvages bruts et rustiques qui vous procurent quasi instantanément une ivresse d’assommoir. Ce serait plutôt un de ces élixirs subtils, aux arômes délicats et persistants, qui vous plongent peu à peu dans une douce euphorie, proche de l’état de grâce. Pour le dire autrement, dans les mots de Thierry Eliez, la musique offerte par le trio de Sylvain Luc, « c’est l’alliance intime du savoir-faire et de la spontanéité ». Il dit « spontanéité », sans doute par pudeur, mais il faut comprendre écoute, disponibilité, inventivité et sensibilité. Ces trois Sudistes (un Basque de Bayonne, un Niçois et un natif d’Arcachon) n’avaient jamais joué ensemble, mais leur rencontre devait être inscrite dans les astres.
Le concert de ce soir était largement tiré d’Organic, mais ce que nous venons de dire explique que la musique en était largement différente. L’esprit en était le même, cependant : exigence musicale et lyrisme, un lyrisme souvent contenu mais bien présent.
On entre dans le concert avec Comme un envol, très beau titre emblématique de la soirée. Tandis que Thierry Eliez (claviers) commence un dialogue subtil avec la guitare de Sylvain Luc, André Ceccarelli installe doucement le décor. Son travail aux balais avec les cymbales et la caisse claire est si délicat qu’on dirait le froufrou d’ailes d’un ange… On passe ensuite au titre éponyme de l’album, Organic. Le rythme s’accélère, notamment à la batterie, sans que Ceccarelli ait besoin de cogner. Le dialogue principal se maintient entre le piano et la guitare, et l’on sent poindre la tentation du chant toujours sous-jacente chez Sylvain Luc. Le trio cède sans remords à cette tentation avec Maïté, une pièce ancienne de Pablo Sorozabal, créée par… Luis Mariano ! Salut au pays ? La guitare se fait mélodie ; avec les claviers et la batterie, elle réalise une broderie ou un ouvrage de dentelle des plus délicats.
Esprit de jeu
C’est la batterie qui ouvre le bal pour Deux, quatre à cinq. Elle restera très présente tout au long de ce morceau. L’Impressionniste porte bien son nom. C’est une pièce très chatoyante où la voix de Thierry Eliez vient s’ajouter aux instruments. On change ensuite de compositeur avec D’ici d’en bas de Bernard Lubat. Ce soir, Sylvain Luc en accentue le côté jeu en se servant d’un octaver-bass et d’un loop comme en dosant savamment la saturation de son instrument. On poursuit dans le même esprit de jeu avec Fandanguito, une pièce où il n’est pas sûr que les amateurs de cette danse, venue d’Andalousie mais qui a une variante basque, se retrouvent vraiment. Mais elle nous a réjouis comme un bon exemple de métissage entre le jazz et les musiques populaires.
C’est encore de métissage qu’il sera question ce jeudi 14 mars avec Mina Agossi et Rémi Panossian, tous les deux en trio. Le concert que les deux ensembles donneront au 1988 Jazz Club fera la part belle à leurs derniers albums, Bbang (Plus loin Music) pour Rémi Panossian et Red Eyes (Naïve) pour Mina Agossi. Ces deux artistes et leurs compagnons prouveront encore une fois la vitalité et la fécondité du jazz pratiqué par les jeunes générations, en attendant Kellylee Evans et Biréli Lagrène. ¶
Jean-François Picaut
Organic, par le Sylvain Luc Trio
Jazz à l’Étage, 4e édition, 2013
Du 13 au 17 mars 2013
À Rennes, dans diverses villes de Rennes-Métropole, à Saint‑Malo
Association Jazz35
Festival Jazz à l’Étage
Photo : © Jean‑François Picaut