Jazz à l’Étage 3e édition, du 2 au 9 mars 2012, chronique no 4

Pat Cohen © Jean-François Picaut

Sous le signe du blues
et de la soul music

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Pour ses deux derniers jours, Jazz à L’Étage troisième édition retourne vers les racines du blues et fait un détour chez une cousine, la soul music, le tout en version électrique. Préparez-vous au décollage, ça va chauffer !

Vendredi 9 mars 2012

Pat Wilder et Pat Cohen : deux femmes qui n’ont pas le blues triste !

Pat Wilder nous vient de San Francisco, c’est une guitariste, chanteuse et compositrice de blues. Son blues puise ses racines dans le jazz, le rock, le rhythm & blues et le gospel. Elle a été récompensée naguère par un Female Traditional Just Blues Music Award à Memphis, Tennessee. Une structure à peu près équivalente à la S.A.C.E.M. l’a distinguée comme auteur de chansons en 2009, et elle a brillé au Monterey Blues Festival en 2010. À peine a-t-elle fait quelques pas sur la scène du Carré Sévigné (Cesson-Sévigné, Ille-et-Vilaine) qu’elle a conquis le public par sa démarche féline et pleine d’énergie. Énergie, c’est le mot totem de Pat Wilder, et elle entreprend de le montrer dès son premier morceau. L’attaque à la guitare est à la limite de l’agressivité. Elle n’hésite pas à solliciter ses musiciens, elle arpente la scène d’un pas nerveux et danse. Bientôt, elle jouera avec les dents ! Peut-être a-elle hérité son goût du jeu physique de sa première passion, les percussions.

La voix de Pat Wilder se situe dans le medium, plutôt grave, avec ce qu’il faut de raucité et des cris quand il le faut. Elle semble affectionner les morceaux rapides et rythmés, mais cela ne l’empêche pas de jouer des blues lents et même de les introduire par un solo instrumental superbe. Elle n’a de cesse d’entraîner la salle avec elle et n’hésite pas pour cela à venir danser dans le public qui est totalement ravi.

Nos lecteurs connaissent déjà Pat « Mother Blues » Cohen, que nous avions quittée à Vienne coiffée d’une perruque bleue et que nous retrouvons ici arborant un superbe cimier rouge flamboyant. Sa robe moulante, à traîne, ne manque pas non plus de faire sensation. Si sa corpulence ne lui permet pas la mobilité de Pat Wilder, elle transfère son énergie dans sa voix, puissante et pleine de souffle. C’est l’archétype de la Mamma Blues. On retiendra son interprétation menaçante de I Put a Spell on You (« Je vous lance un sort »), la chanson de Screamin’ Jay Hawkins, reprise par tant d’artistes dont Nina Simone, Ray Charles, Joe Cocker, etc. On pourrait également citer le traditionnel Rock Me Baby, illustré notamment par B.B. King.

Pat Wilder revient sur scène pour un duo final échevelé qui voit Pat Cohen descendre dans la salle et réussir à faire se lever et danser tout le public. Parmi les accompagnateurs des deux femmes, on retiendra le guitariste-chanteur qui a su prendre de belles initiatives et le batteur, Bernard Reichstadt, pour un beau solo sur un traditionnel dans le style de la Nouvelle-Orléans.

Vendredi 10 mars 2012

Robin McKelle et les Fly Tones invitent Fred Wesley et Pee Wee Ellis : la rousse qui met le feu

La foule des grands jours attend fébrilement une des nouvelles stars de la soul et de la funk music, Robin McKelle. L’impatience est d’autant plus grande que les spectateurs vont pouvoir assister à une création du nouvel album de la dame, Soul Flower (R.C.A. Victor-Sony Music), avec la participation, pour cette unique soirée, de deux anciens compagnons de James Brown : Fred Wesley (trombone) et Pee Wee Ellis (saxophone). Tout le personnel du disque est aussi présent sur scène soit dix personnes en tout.

Robin McKelle © Jean-François Picaut
Robin McKelle © Jean-François Picaut

Après quelques mesures jouées par les Flytones, Mme McKelle fait son entrée en scène : jean noir moulant, tee-shirt noir et veste blanche à revers noirs, le tout complété par une sorte de demi-pagne en cordelettes noires. On est toujours aussi surpris de voir sa masse de cheveux d’un roux profond relevée en un chignon très B.C.B.G. ! D’entrée de jeu, elle entreprend de mobiliser la salle : « Don’t you want to have a good time ? ».

Et, tout de suite, on entre dans le vif du sujet avec Nothing’s Really Changed (Sam Barsh), une pièce soul rythmée à souhait où les cuivres s’en donnent à cœur joie. C’est la première occasion de se distinguer par un superbe solo pour Mike Tucker (saxophone ténor), remarquable pendant tout le concert. Bientôt, après un petit jeu au portable à l’issue duquel il s’avère que Fred Wesley est justement à Rennes et qu’il est même prêt à entrer en scène pour une petite party à la maison ( !), le tromboniste entre en scène. Il alterne le chant et son instrument (il excelle dans les deux), et ne tarde pas à faire chanter et danser la salle. Il est bientôt rejoint par Pee Wee Ellis pour un des moments forts de la soirée, l’interprétation de I Got You ou si l’on préfère I Feel Good (James Brown), occasion d’un premier beau solo du saxophoniste. Au cours d’un interlude instrumental, Pee Wee Ellis et Mike Tucker se livrent à un superbe duel. Et ils s’en sortent à égalité, Tucker l’emportant par la vélocité et une forme de rage dans les aigus tandis qu’Ellis brille par son phrasé, la rondeur et le moelleux du son.

Autre grand moment, malgré quelques difficultés de son : le blues que McKelle commence à interpréter en s’accompagnant seule au clavier avant d’être rejointe progressivement par tout l’orchestre. On retiendra aussi cette chanson que Robin McKelle qualifie elle-même de « chanson d’espoir », So It Goes (McKelle-Nievergelt), qui ouvre l’album, « les temps sont rudes et deviennent plus durs : il faut rester debout et garder la tête haute. Mais je ne peux pas croire qu’il n’y a rien à faire. Ne pouvons-nous pas nous mettre tous ensemble pour aborder les choses sous un autre angle ? ». Il n’est pas sûr que la leçon, chantée en anglais, soit bien comprise, mais l’auteur-interprète y met tout son cœur.

Robin McKelle et les Flytones avec leurs hôtes nous ont offert deux heures d’un spectacle placé sous le signe de l’énergie et de la générosité, avec une musique colorée, épicée et rythmée à souhait. Sans la magie de la scène, évidemment, nous vous invitons à la retrouver dans Soul Flower. Le dernier album de Robin McKelle nous restitue l’engagement des interprètes et l’immense talent de leur leader.

Avant de clore cette série de chroniques, nous voudrions saluer tous les invisibles qui ont concouru à notre plaisir, les bénévoles notamment, et saluer plus spécialement celui qui a chouchouté nos oreilles pour la plupart des concerts, l’ingénieur du son Pierre Bianchi.

Au moment où les lumières de cette troisième édition de Jazz à L’Étage vont s’éteindre, on ne peut s’empêcher d’avoir un petit pincement au cœur. Mais, grâce à ce Women Only, le festival et ses organisateurs ont réchauffé cette fin d’hiver et nous ont fourni des provisions de musique pour attendre les festivals qui suivront et nous conduire jusqu’à la prochaine édition. 

Jean-François Picaut


Jazz à L’Étage 3e édition, 2012

Du 2 au 9 mars 2011

À Rennes et dans diverses villes de Rennes-Métropole

Association Jazz35

http://www.jazz35.com

Soul Flower, de Robin McKelle est un album Doxie Records 2012 R.C.A. VICTOR-Sony Music

Photos : © Jean-François Picaut

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories