Jean Bellorini, le météore
Trina Mounier et Léna Martinelli
Les Trois Coups
Fin 2026, Jean Bellorini quittera le TNP de Villeurbanne, qu’il dirige depuis 2020. Il est nommé à la tête du Théâtre du Carouge.
Après six ans au Théâtre Gérard Philipe, Jean Bellorini est arrivé à la tête du TNP de Villeurbanne au début de 2020, dans un théâtre déserté pour cause de covid. L’annonce presque simultanée de son départ fin 2026 et de sa nomination à la tête du Théâtre de Carouge, en Suisse, dont le siège de directeur est occupé par Jean Liermier depuis dix-sept ans, ont fait l’effet d’un coup de tonnerre, même si des rumeurs commençaient à circuler.
Dans son communiqué de presse, le Conseil de fondation du Théâtre de Carouge loue les qualités artistiques de Jean Bellorini : il salue « son expérience managériale au sein de grandes institutions théâtrales, ses qualités humaines avec les équipes et son attention permanente portée tant à la profession qu’au public. Il rappelle en outre les deux Molière à la mise en scène, son attachement aux valeurs humanistes et sa passion du théâtre qu’il s’efforce de transmettre par des activités de pédagogue et d’animateur ». Il souligne enfin sa triple nationalité suisse, française et italienne.
Des classiques revisités…
Le public lyonnais a accueilli avec ferveur nombre de ses créations, à la fois inventives et respectueuses. Accueillies dans la grande salle entièrement rénovée et très confortable de presque 700 places, elles ont systématiquement affiché complet. Jean Bellorini y a monté beaucoup d’œuvres du répertoire, comme Le Tartuffe, Le Cid, Les Misérables, Antigone…
« Histoire d’un Cid », © Christophe Reynaud de Lage ; « Il Tartufo » © Ivan Nocera ; « Tempête sous un crâne » © Pierre Dolzani ; « Les Messagères » © Juliette Parisot
À chaque fois, le metteur en scène y ajoute sa touche personnelle, annoncée dès le titre : Il Tartufo, Histoire d’un Cid, Tempête sous un crâne, Les Messagères. En effet, il a su transposer ces œuvres dans un autre environnement, leur donnant ainsi une résonance inoubliable. Ainsi du Tartuffe devenu l’hôte encombrant d’une famille napolitaine, avec le Teatro di Napoli, du Cid joué sur un matelas gonflable par de jeunes acteurs pleins de fougue, des Messagères incarnées par de jeunes Afghanes réfugiées, ou encore des Misérables interprétés en mandarin par le Yang Hua Theatre de Pékin.
… aux œuvres méconnues d’auteurs contemporains
Mais Jean Bellorini met aussi un point d’honneur à créer des pièces moins souvent jouées comme Le Suicidé de Nicolaï Erdman et Le Jeu des ombres de Valère Novarina. Quand il met en scène Onéguine de Pouchkine, il le fait dans un dispositif bi-frontal qui donne un rôle capital à la musique et au son : les spectateurs équipés de casques peuvent entendre le bruit des calèches, le tintement des coupes de champagne, le crissement de la neige, tout un environnement éblouissant et magistral.
1 et 4 « Le Jeu des ombres » © Raynaud de Lage / Pascal Victor ; « Le Suicidé » © DR ; « Onéguine » © Pascal Victor / ArtComPress
Car cet artiste manie avec autant de dextérité la langue (les langues) que la musique et la scénographie. Ainsi a-t-il ouvert le plateau aux cultures urbaines, notamment aux traceurs, skaters et pratiquants du parkour, avec Archipel d’après Italo Calvino, une création du chorégraphe Nicolas Musin.
Ouvertures
Chacun des spectateurs du TNP se souviendra aussi de l’intérêt de Jean Bellorini pour les compagnies émergentes. Chaque année, celui-ci a poursuivi l’expérience de la « Troupe éphémère » initiée en Seine-Saint-Denis qui permettait à des jeunes de construire un spectacle sur le grand plateau. Il a ouvert une collaboration avec le Théâtre des Célestins, pourtant vu jusque-là comme un simple rival, ce qui leur a permis de rebâtir ensemble le Prix Incandescences, destiné à promouvoir les meilleurs artistes de la scène régionale.
Arrêtons-là ce panégyrique ! Jean Bellorini avait promis au public lyonnais de lui faire voir toutes les mises en scène de son répertoire. Il en manque quelques-unes, mais il reste dix-huit mois. Ensuite, nous regretterons un directeur disponible et ouvert à tous, présent chaque jour de représentation, conformément à la tradition de l’accueil dans cette exceptionnelle maison-théâtre qu’est le Théâtre National Populaire.
Trina Mounier et Léna Martinelli
Jean Bellorini
Théâtre National Populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne • Tel. : 04 78 03 30 00
Théâtre de Carouge • Rue Ancienne 37A • Genève (Suisse) • Tel. : +41 22 343 43 43
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Entretien avec Jean Bellorini à propos de « Le Jeu des ombres », propos recueillis par Trina- Mounier
☛ Entretien avec Jean Bellorini suite à sa nomination en 2020, propos recueillis par Trina Mounier
Photo : © Juliette Parisot