Mots et notes mêlés
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Il s’impose comme le spécialiste de la musique classique. Producteur, animateur d’émissions à succès, Jean-François Zygel est aussi un instrumentiste virtuose, dont on peut mesurer l’étendue de son talent dans des concerts ou récitals. Pour la 7e saison, ses salons de musique, proposés un mardi par mois à la salle Gaveau, lui fournissent l’occasion d’improviser sur les plus grands poètes français.
Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire… Entre lectures d’extraits et improvisations au piano, chacun inspire à Jean-François Zygel un dialogue fécond, à partir d’un thème, une image, un vers, un rythme, une ambiance : « J’écoute les mots, ils se transforment en musique », explique-t-il.
En référence au mélodrame d’autrefois qui associait un diseur et un piano, il a conçu un format court (un peu plus d’une heure) qui démontre que la poésie, si elle peut se suffire à elle-même, gagne à être reçue de différentes manières. Cette joute nourrit une réflexion sur le pouvoir émotionnel des arts : musicalité des mots et poésie de la musique.
Artiste complet, ce musicien est à la fois présent dans les médias, sur disque et sur scène. Toujours enthousiaste à l’idée de partager ses passions, Jean-François Zygel est régulièrement invité et se produit en France ou à l’étranger, seul ou avec des danseurs, des comédiens, des artistes de jazz, de la chanson ou des musiques du monde. Dès qu’il peut, il croise les disciplines (cinéma, littérature, poésie). Il est d’ailleurs considéré comme l’un des principaux artisans du renouveau du ciné-concert en France. Ce curieux éclectique cède facilement à la tentation de combiner les arts, articulant les langages pour trouver un sens commun et universel. Ces récitals de la Salle Gaveau en sont la démonstration.
Analyse fine et inspirée
Ainsi, Jean-François Zygel a-t-il rendu un bel hommage à Baudelaire, le 15 janvier dernier. Préférant souligner les paradoxes plutôt que de les illustrer, il a insisté sur les aspects méconnus du poète : « Au fond, cet auteur mal compris du XIXe siècle est un grand moraliste », a-t-il lancé en guise d’ouverture. D’abord, pour « Recueillement » (sans doute le poème le plus connu de Baudelaire : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille »…), il s’est inspiré du compositeur Claude Debussy (qui a mis en musique, en 1890, cinq poèmes tirés des Fleurs du mal). Puis, il a démontré la sobriété de « l’Invitation au voyage » (« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »), avec une improvisation très réussie.
Bien sûr, son choix approprié d’extraits lui permet de souligner certaines inventions du poète : le poème en prose, l’évocation oxymorique des maux de l’âme (« Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie »).
Et parce qu’il aime plus que tout expérimenter, Jean-François Zygel a donc tenté de trouver l’équivalent musical de cette figure de style (consistant à rapprocher deux termes apparemment contradictoires). Par exemple, en abordant « Spleen », il a proposé une musique éloignée des canons romantiques (comme le poète lui-même). Certes, la tonalité était sombre, mais son morceau comportait des clairs obscurs intéressants, des effets étranges et imprévus.
Un improvisateur hors pair
D’ailleurs, la liberté créative du musicien et la beauté de ses interprétations ont impressionné le public. Chaque mesure a su se frayer un chemin vers le cœur, comme vers l’esprit. Avec naturel, Jean-François Zygel est en effet parvenu à allier l’audace de l’expérimentation et l’art souverain d’un créateur au faîte de sa maîtrise, entre intensité et infinie délicatesse.
Depuis 1982, année où il remporta le premier prix du Concours international d’improvisation au piano de la Ville de Lyon, il a, en parallèle de ses activités audiovisuelles, mené une carrière singulière de concertiste improvisateur qui mérite vraiment d’être connue. Une activité à laquelle il tient tout particulièrement, puisqu’il a aussi fondé, il y a quinze ans, la classe d’improvisation au piano au Conservatoire de Paris. Enfin, il se prête régulièrement à l’exercice du duel de piano.
L’esprit du salon de musique
Au-delà de son talent, sa personnalité plaît beaucoup. À la Salle Gaveau, le rapport scène-salle favorise ce climat de confidences que souhaite le musicien. Une ambiance intimiste, juste reflet de quelqu’un qui aime dévoiler sa relation personnelle avec les artistes ou les œuvres abordés.
Déjà, sa générosité s’exprime par l’humilité. Il met toujours sa virtuosité au service de la musique ou des autres. Jean-François Zygel enrichit son propos de traits d’esprit ou de commentaires qui ne manquent jamais de malice. Il partage ses connaissances avec éloquence et fantaisie. Si l’on est ici en bonne compagnie, on est tout à fait à l’aise grâce à sa bonhommie. En s’éloignant des codes des spécialistes, il nous raconte simplement des histoires, il transmet ses émotions. Ses anecdotes et son humour rendent les choses aisées.
Mélomanes ou néophytes, tous peuvent donc y trouver leur compte, quels que soient leur parcours et leur culture. Au premier récital 2019, il y avait foule, car une prestation de Jean-François Zygel est toujours un événement. Mais au cœur de ce quartier très actif de Paris, le musicien aimerait que le public se mélange, que les plus jeunes côtoient les plus âgés, que les salariés viennent s’y ressourcer au moment du déjeuner.
Alors, ne manquez pas les rendez-vous suivants ! Le programme s’annonce tout aussi passionnant : « Le 19 février, j’ai imaginé un concert au pays de Verlaine, pour dorloter l’hiver et partager ensemble le bruit doux de la pluie par terre et sur les toits », annonce Jean-François Zygel. ¶
Léna Martinelli
Jean-François Zygel improvise sur Baudelaire
Le salon de musique (saison 7) de Jean-François Zygel
Salle Gaveau • 47, rue de la Boétie • 75008 Paris
Le 15 janvier, de 12 h 30 à 13 h 30
Rencontre avec l’artiste à l’issue du concert
Tarif : 12,50 €
Abonnement à partir de 2 concerts
Réservations : 01 49 53 05 07
Prochains rendez-vous :
- Le 19 février : Verlaine
- Le 12 mars : Rimbaud
- Le 16 avril : Apollinaire