Jean-Paul Gasparian, Festival international de piano, La Roque d’Anthéron

Jean-Paul Gasparian- Festival-de-Piano-de-la-Roque-d'Anthéron © Valentine Chauvin 2022

Des notes sur le toit du monde

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

Dans le parc de la Roque d’Anthéron, le pianiste Jean-Paul Gasparian a livré un récital Debussy / Brahms qui révèle, bien au-delà d’une technique irréprochable, un toucher de piano exceptionnel.

La lumière déjà déclinante de fin d’après-midi est parfaite pour cette traversée des Préludes de Debussy (livre 1) dans laquelle s’est engagée Jean-Paul Gasparian. Au cœur du parc de Florans, sous la conque immense, s’élèvent, douces et mystérieuses, les premières notes des Danseuses de Delphes. Une lente sarabande inspirée des danseuses d’un fragment sculptural du temple de Delphes dont Debussy avait vu une photo au Louvre. Morceau qu’il jouait lui-même, selon Marguerite Long, avec une « exactitude presque métronomique, des valeurs sonores moelleuses et d’une hiératique densité ».

« Valeurs moelleuses », « hiératique densité » … II est merveilleux en tout cas d’entendre ici le son si velouté de ce jeune pianiste, chaque note enveloppée dans l’écrin qu’elle mérite. S’il était comédien, on le dirait fantastique dans la maîtrise du mot, de la phrase, de l’alexandrin, du sens précis du texte. Son jeu est de cette envergure : il sait conduire son récit, le rythmer parfaitement, donner à ses accords de la main gauche une gravité sonore somptueuse, et élever de la main droite un chant aérien, étrange et lointain. Un son réfléchi, d’une grande pureté, incontestablement inspiré. 

© Valentine Chauvin

Évoquant des voiles glissant sur la mer, le deuxième prélude, Voiles, élève encore la poésie qui nous est ici donnée. Jean-Paul Gasparian, l’intelligence au bout des doigts, vient baigner cette musique paisible d’une profonde expressivité, avec d’exceptionnels aigus, illusions parfaites de l’élément liquide. Le mouvement indiqué « comme un très léger glissendo, » entraîne l’auditoire dans un ailleurs merveilleux : loin de l’effet « carte postale des voiles blanches » vertement récusé par Debussy, l’impression donnée par ce jeu est celle d’une vibration fugitive, quasi irréelle. Quel moment de grâce !

Les douze pièces-poèmes sont données dans cette qualité d’interprétation. Même la brutalité du fabuleux prélude « Ce qu’a vu le vent d’ouest », la rudesse de ses graves, son dernier accord dissonant et sec ne sont pas assénés en force, mais livrés avec la profondeur d’un son subtilement varié, qui sait parler de chaos sans dureté. Le pianiste nous envoie le vent, la bise, les rafales, des murailles d’eau et des remous, de la lumière et de la neige.

Tristesse et joie, douceur et agitation. Paix et tourment. Debussy lui est cher, cela s’entend. « J’ai beaucoup fréquenté Debussy », nous confie-t-il, « depuis de longues années, j’entretiens avec lui un rapport intime, suivi, et je vais d’ailleurs graver à l’automne un disque qui lui sera entièrement dédié ». Oui, le pianiste, sans le moindre doute, est lié à ce compositeur qu’il interprète avec foi. « J’essaye de rester complètement fidèle au texte, et aux nombreuses indications qui y figurent, quelque fois toutes les deux ou trois mesures, tout en apportant ma sensibilité ». Une alchimie est là.

« D’ardeur et de profondeur »

Programmée en seconde partie, la sonate en ut majeur, op.1, de Brahms, est celle que le compositeur, dans le talent flamboyant de ses vingt ans, a jugé digne d’être jouée aux Schumann, le 1er octobre 1853. Une entrée à l’assaut du monde et du clavier. « Un élu », dira Robert Schumann. Jean-Paul Gasparian hisse l’Allegro à sa puissance maximale. Fougue, emballement, souffle romantique : l’instant, en une poignée de minutes, s’est chargé d’émotions radicalement différentes. Le chant en tierces, tellement délicat, est un petit bonheur. La mélodie de l’Andante, si légère, s’envole à la main droite, presque furtive, dans cette beauté du son dont l’interprète sait habiller son jeu.

© Valentine Chauvin

« Il faut rechercher la souplesse du geste : jamais dur, ni trop vertical, ni géométrique. Le geste ne peut jamais être agressif », nous dit-il. C’est sans doute l’un des nombreux secrets de telles interprétations, dont la magie opère autant dans les pianissimi les plus intimes que dans les grands Forte. Ainsi galope la coda magnifique de la sonate, dans une impression de force dénuée de toute rigidité. Le geste, si beau à voir, cisèle un son sur mesure. Égrenées, lumineuses, ces notes qui semblent flotter sur le toit du monde : en légère retenue, cédées,lâchées comme à regret, elles viennent saisir au cœur un auditoire toujours sensible à cette délicatesse-là, infiniment ténue mais tellement évocatrice. 

« Je pense avoir un jeu très engagé sur scène physiquement et émotionnellement », témoigne le pianiste. « J’essaye d’y mettre profondeur et ardeur, tout en restant le plus fidèle possible à l’œuvre. Si je donne l’impression de la faire entendre pour la première fois, en proposant quelque chose, si ce n’est de nouveau, au moins de singulier et de personnel, c’est le plus important ». Voilà qui est fait. 🔴

Florence Douroux


Jean-Paul Gasparian, récital

Debussy : Préludes, Livre I
Brahms : Sonate n°1 en ut majeur op.1
Durée approximative : 1 h 10

Parc du Château de Florans • Avenue Paul Onoratini •13640 la Roque d’Anthéron
Le 16 août 2022, à 18 heures
Tarif unique : 20 €
Réservations : 04 42 50 51 15 ou en ligne

Dans le cadre du Festival de piano de la Roque d’Anthéron, du 18 juillet au 20 août 2022
Plus d’infos ici
Teaser du 42e festival

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