Pas de silence face à la violence
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le site Les Trois Coups marque… le coup afin de dénoncer les violences face aux femmes, qui font, depuis 2017, l’objet d’une Journée internationale, un des volets du plan interministériel pour les droits des femmes et des familles. Voici un petit florilège de propositions en musique, théâtre et danse, avec des artistes qui rendent hommage aux victimes ou s’emparent avec force de la thématique : La Collective, chœur de femmes qui livre une véritable ode à la sororité ; Leïla Ka, qui prend le sujet à bras-le-corps ; plusieurs spectacles qui nous plongent concrètement dans les affaires familiales…
Un tiers des femmes sont victimes de violences au cours de leur vie. Depuis le procès retentissant des viols de Mazan, le nombre des plaintes a explosé : « Nous ne progressons pas. Malgré le Grenelle de 2019, les féminicides ne reculent pas et les violences sexuelles restent massives : 150 femmes tuées cette année, 600 nourrissons victimes en 2024 », souligne Dominique Vérien, Présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. « Dans le budget 2026, la structure chargée du pilotage national ne dispose que de 9 postes et 9.000 € ! ». À quand un pilotage interministériel doté de moyens à la hauteur de l’enjeu ? ».
Politique de tolérance zéro
Tout cela ne constitue pas une somme de terribles et sordides faits divers. Tout cela fait système. Interpellée, sur la nécessité de présenter une loi-cadre, Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes, a rendu hommage à quelques victimes à l’Assemblée : « Elles avaient dit « je te quitte ». Elles ont été assassinées. Les féminicides ne sont pas des faits divers. Ce sont des faits de société », a-t-elle martelé, annonçant pour le premier semestre 2026, 53 mesures, fruit d’un long travail mené par une coalition transpartisane d’associations et de parlementaires. En cette période de restrictions budgétaires, on espère que cela aboutira.



1 et 3- « MAMAE », Magma Performing Théâtre © Mélanie Broquet ; 2- « Vivre, le poème de Sara », Cie Les Chiennes Nationales © Stéphanie Ruffier
L’institution culturelle n’est pas en reste, nombre d’alertes provenant de ce secteur où l’expression se libère enfin (lire le reportage de Stéphanie Ruffier sur le secteur des arts de la rue, à l’occasion de Temps Très Fort, Festival des Ateliers Frappaz). Suite au bilan positif du nouveau Plan de lutte contre les violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS) dévoilé voici huit mois, la ministre a également annoncé un renforcement les mesures. Rachida Dati a d’ailleurs invité les branches du spectacle vivant public et privé à poursuivre leurs travaux en s’inspirant des avancées concrètes du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) : création de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de branche, recours accru à la coordination d’intimité et à des responsables enfants. Elle a aussi souligné les efforts effectués dans le secteur associatif en matière de prévention (rappelant en particulier les deux webinaires organisés par Artcena les 24 novembre et 8 décembre), et indiqué qu’elle soutiendrait les initiatives de France Festivals à l’intention des bénévoles. Parmi les nouvelles mesures : mieux documenter les dispositifs efficaces de prévention afin de développer des outils de prise en charge adaptés.
Faire du combat une matière artistique
Nous n’en serions pas là sans l’engagement de la société civile. Les associations féministes sont en première ligne. Cette année, le nombre d’initiatives culturelles illustre l’importance de ce phénomène de société, avec beaucoup de débats, notamment sur la question du consentement, ou de marches, comme celle de #NousToutes (La rue nous appartient, le 22 novembre), contre les féminicides, les violences patriarcales, sociales et d’État, la destruction des services publics qui impacte plus fortement les femmes et les personnes minorisées, les guerres, les génocides et la montée des fascismes partout dans le monde.
Si des lois sont essentielles, témoignages, récits, représentations œuvrent à la prise de conscience. Concentrons-nous donc sur quelques événements artistiques, dans le secteur de la musique qui adoucit les mœurs mais galvanise aussi, du théâtre qui brise le silence, de la danse qui fait sacrément bouger les choses. Relevons que, souvent, les droits d’auteur sont reversés à des associations, ou ONG, dont la Fondation des Femmes, qui a organisé un grand concert solidaire, le 19 novembre, Nos voix pour toutes, à l’Adidas Arena, à Paris, après une première édition couronnée de succès.
Des chœurs, porte-voix des femmes
Partout en France, des chœurs de femmes se sont produits cette semaine. Faisons un focus sur les Pays de la Loire, où les associations subissent de plein fouet les coupes budgétaires de la Région (même si la Fondation des Femmes pointe une généralisation du phénomène) : FemmeS TouteS DEBOUT, en Loire-Atlantique. En Vendée, Le Chœur de femmes de Noirmoutier et Les Filles de Voix ont parcouru, voire revisité, leur répertoire pour l’occasion. En face, à L’île d’Yeu, La Collective s’est également saisie du sujet. Les gestes se sont joints à la parole afin d’exprimer colères, souffrances et quêtes de liberté. Une façon de dénoncer un système, de provoquer des débats, d’exiger tolérance et respect. La fin du concert, avec des panneaux et la longue liste de noms de victimes, a aussi beaucoup ému le public.


La Collective © Florence Guiton © Alice Vincent
Chanter ensemble et en public favorise la résilience et la prise de conscience. « Face au nombre de féminicides, déjà plus à ce jour qu’en 2024, et de VHSS), il est absolument nécessaire d’être solidaire avec les victimes », explique Rozenn. « Selon Amnesty International, un viol ou une tentative de viol a lieu toutes les 6 minutes en France », renchérit Marie, « je continuerai à élever ma voix tant que cette menace existera ». Chloé trouve cette activité particulièrement adaptée : « Formidable vecteur pour faire passer des messages et des idées, la musique rassemble naturellement les gens ». Musicienne professionnelle, elle assure l’accompagnement et le coaching technique, mais l’association est gérée de façon collective, comme son nom l’indique et tout le monde y est bienvenu. À chœur ouvert !
Le répertoire comprend des titres parlants : Quand c’est non, c’est non, Je t’accuse… Chansons connues et moins connus (Zaho de Sagazan, Jeanne Cherhal, Suzane…), récits plus ou moins intimes, ce répertoire brasse large et dit l’universel. À ce titre, Canción sin miedo, de Vivir Quintana (figure de proue du mouvement féministe mexicain) est devenue un hymne mondial. Ces œuvres percutantes parlent à toutes et tous : que vivent les femmes dans nos sociétés ? Comment traversent-elles les épreuves ? Certains textes amènent aussi à réfléchir à nos représentations.
Le féminisme brûle les planches
Et pas que sur les scènes, d’ailleurs, puisqu’écrit à partir d’entretiens et d’enquêtes, À la barre, de Ronan Chéneau (Cie du P’tit Ballon) théâtralise les audiences des violences faites aux femmes au sein des palais de justice. Créée en 2024 au CDN de Normandie Rouen, jouée l’été dernier au tribunal judiciaire d’Avignon (là où a eu lieu le procès de Dominique Pélicot), dans le cadre du Off, la pièce tourne depuis (lire la critique de Laura Plas).



« Les Histrionniques » © Collectif Mee#TooThéâtre ; « Affaires familiales » © DR ; « King Kong Théorie » © Sylvain Pierrel Supermouche Productions
Qu’attendre exactement de la justice et de ses procédures ? Plusieurs pièces de théâtre s’inspirent d’affaires réelles. Pointant les limites des tribunaux, Émilie Rousset explore lien entre l’intime et le politique. Affaires familiales, au Théâtre de la Bastille, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, puis en tournée jusqu’au printemps, elle nous invite dans le quotidien de cabinets d’avocat·es spécialisé·es en droit de la famille. Un théâtre, qui se caractérise par un geste de déconstruction de la parole à partir d’archives et de témoignages.
Les outils du théâtre et le pouvoir du jeu sont puissants. Liées par leur engagement au sein du Collectif #MeTooThéâtre, porté par la Cie La Fugitive, et par la vitalité de leur révolte, six femmes nous embarquent à vive allure dans la vie chahutée qu’implique l’engagement, dopées par une furieuse envie d’en découdre avec l’impunité et la culture du viol. Échanges sur Messenger, reconstitution de scènes clés… Les Histrionniques tissent une fiction sur différents niveaux de réalité pour que la théâtralité déployée mette à nu un système de domination inacceptable. Après le Centquatre et Le 11 • Avignon, le spectacle tourne toujours.
Plaidoyer pour un nouveau féminisme, King Kong Théorie (au Théâtre Silvia Monfort) a attaqué le sujet par un autre biais : la révolution sexuelle a-t-elle permis au monde d’évoluer vers plus de tolérance, de reconnaissance et de justice ? À sa sortie en 2006, l’essai s’affirme comme un manifeste. Virginie Despentes y repose la question de la condition des femmes dans notre société (prostitution, pornographie, plaisir, émancipation…), dans un récit coup de poing qui développe les conséquences d’un viol sur une vie entière. Valérie de Dietrich et Vanessa Larré (Cie Parcelle 112) en livrent une vision post #MeToo déculpabilisée et libérée, démontant l’injonction victimaire afin de faire exploser les carcans et souffler un vent de rébellion salutaire.
Quant aux jeunes équipes au programme d’Impatience 2025, elles se consacreront à des combats majeurs de l’époque, avec la moitié des propositions consacrée aux luttes féministes. Ainsi, Après son ombre de Pierre Marescaux aborde-t-il le féminin sous l’angle des dangers qui le menacent. Une femme seule, en forêt, détecte la présence d’un homme. Elle se cache dans un buisson et guette son arrivée. À mesure qu’il se rapproche, elle nous raconte pourquoi et comment la confrontation lui semble inéluctable. À la fois fait divers sordide et thriller suffocant, cette performance seule en scène nous plonge dans nos pulsions archaïques et nous interroge sur nos violences, « celles qu’on subit, celles qu’on commet, celles dont on hérite, et celles qu’on transpose ».



« Après son ombre » © Pierre Martin Oriol
À bras-le-corps
La danse aide également à faire bouger les choses. Hymne à la féminité plurielle et à l’émancipation, Maldonne fait danser les corps qui n’osent pas parler dans un tourbillon de tissus. Porté par cinq interprètes souveraines, le spectacle de Leïla Ka élève les victimes de violences conjugales en madones. Elles sont cinq, d’abord immobiles et impassibles, unies comme les doigts de la main (ou du poing). Elles finiront debout, vivantes, révoltées. Chaque mouvement devient acte de résistance, entre combats silencieux et éclats de rire complices (lire la critique de Léna Martinelli).
Dans Royaume, le chorégraphe Hamid Ben Mahi dénonce la brutalité de notre système patriarcal, avec les moyens du hip-hop. Les éclats de voix intimes et sincères des danseuses disent l’universel. Une manière de mettre en lumière des paroles de femmes. Après Centre culturel Aragon Triolet d’Orly, le spectacle de la Cie Hors Série poursuit sa tournée.
En guise de soutien, avant chaque représentation au Théâtre-Studio d’Alfortville, victime de la baisse de subventions des collectivités locales et de l’État, comme L’Échangeur de Bagnolet, Aurélia Jarry proposera Pour Gisèle, avec le Collectif Les Indomptables de la Cie Sait-Mouvoir. Une chorégraphie de six minutes, sobre et frontale, en hommage à Gisèle Pelicot, devenue icône féministe : « Ce n’est pas une danse contre les hommes. Ce n’est pas un réquisitoire. C’est une offrande. Pour Gisèle. Pour les femmes qui souffrent. Pour celles qui continuent à se battre. Celles qui ne sont pas écoutées. »
Résistances
Enfin, mentionnons Giselle(s), le classique revisité dès 2023 par Marie-Claude Pietragalla, qui transforme le personnage romantique en reine à la tête d’une armée de guerrières et de combattantes impitoyables traquant les bourreaux de sœurs victimes de violences et de trahison.
Qu’ielles soient militant·es ou pas, ces artistes représentent un féminisme multi-facettes, plus ou moins sensible, mais souvent pertinent. Chacun·e, à sa façon, met en lumière la parole, les corps et les âmes des femmes. Voilà autant de témoignages poignants, de manifestes contribuant à briser le silence, obtenir réparation, en finir avec la violence.
Léna Martinelli
Journée contre les violences faites aux femmes
3919 : n° d’écoute anonyme et gratuit
Photo de une : La Collective © Alice Vincent


