« Juste Irena », Cie Paname Pilotis, Le Chainon Manquant 2025, Critique, Théâtre de Laval

Juste Irena-Cie Paname Pilotis © Gilles Le Dilhuidy

Femmes puissantes

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Tout le monde connaît Oskar Schindler grâce au film de Spielberg. Pas Irena Sendlerowa (1908-2008), assistante sociale catholique qui a pourtant sauvé 2.500 enfants juifs de la déportation. Miracle de suggestion, de pudeur et poésie, « Juste Irena » retrace son histoire, bouleversante, et celle de la Shoah, édifiante. Un bien bel hommage qui rappelle la nécessité, impérieuse, de réparer le monde.

« C’est l’histoire d’une histoire qui se raconte par la fin ». Une vieille dame polonaise vit dans une maison de retraite. Jusqu’à l’enquête de trois étudiantes américaines, personne ne pouvait soupçonner les actions héroïques qu’elle a accomplies, elle et son réseau de femmes, au péril de leur vie. Convoquant alors les fantômes de son passé, Irena reconstitue les bribes d’une mémoire qui s’étiole pour que reste à jamais gravé l’inimaginable. Nous découvrons ainsi l’existence de cette femme exceptionnelle, reléguée dans l’anonymat jusqu’à son élection Juste parmi les nations, en 1965 et, peu avant sa mort, portée candidate au Prix Nobel de la Paix par le Sénat polonais.

© Gilles Le Dilhuidy

Comment montrer cette histoire, aussi terrible que magnifique, aux enfants ? Le médium de la marionnette s’est imposé car il permet de mettre l’horreur et la violence à distance tout en incluant une bonne dose de poésie. De façon fascinante, le spectacle polymorphe tricote donc une maille serrée, entre fiction et réalité historique, passé et présent, actrices de chair et marionnettes-objets, sans oublier le théâtre d’ombres. Soutenues par le magnifique travail de vidéo, la lumière et l’univers sonore, les comédiennes, également manipulatrices, mêlent faits connus et « petite histoire » : organisation de la résistance (sans éluder les doutes et les échecs), brutalité des nazis, déchirements de l’abandon, itinéraires et cachettes, parcours de vies (torturée, Irena s’en est sortie de justesse)…

Résistantes

Le très beau texte de Léonore Chaix superpose plusieurs temporalités. Le théâtre d’ombres représente l’époque de la Seconde Guerre mondiale, les marionnettes le passé proche (1999) et les actrices de chair le présent (2022). Bien que non chronologique, la reconstitution est rigoureuse, presque pédagogique, comme cette maquette du ghetto de Varsovie.

Avec fluidité, la mise en scène de Cédric Revollon nous entraîne d’un pays à un autre, d’un contexte à un autre. Palpitant, le récit est également poignant. Quand Irena frappe aux portes, une étoile filante vient se blottir dans ses bras en quittant ceux de la mère. Puis, au fond de son sac, c’est une étincelle de vie qui palpite. Les procédés poétiques évitent une représentation réaliste crue, mais touchent beaucoup, telles ces échappées oniriques qui accompagnent les orphelins, des lucioles, ou encore ce jeu d’échelle avec des marionnettes grandeur nature, d’autres plus petites pour les enfants et celles des bourreaux qui paraissent immenses (au passage, soulignons la beauté de ces réalisations). Le contraste est saisissant entre la vivacité et l’humour des étudiantes, auxquelles les jeunes peuvent facilement s’identifier, le traitement fantastique des barbares (présentés comme des loups, métaphore de la peur et de l’angoisse) et le clair-obscur de la résistance, source d’espoir.

1 et 2 © Gilles Le Dilhuidy ; 3 © Alexandre Guerrero

Ravivant les maux d’hier afin de prévenir ceux d’aujourd’hui, Juste Irena nous éclaire, fait résonner les notions de courage et de solidarité. C’est une leçon d’humanité : « Vous dites que je suis une héroïne, mais les vrais héros de cette histoire, ce sont les enfants et leurs parents qui ont subi l’inimaginable. Ce que j’ai fait n’était pas extraordinaire, c’était normal (…). N’importe qui peut changer le monde ».

Autre fait incroyable : au printemps 1945, Irena a tenté de retrouver la liste des enfants enterrée dans les ruines du jardin détruit pendant l’insurrection. Sans succès. Avec les femmes de son équipe, elle a convoqué les souvenirs. Il s’en est fallu de peu que ces enfants devenus grands ne retrouvent leur identité. De même, l’indispensable devoir de mémoire a pu se faire grâce à la perspicacité de ces jeunes femmes, passeuses d’histoire, elles aussi femmes puissantes, et au remarquable travail de la compagnie Paname Pilotis. Respect !

Léna Martinelli


Site de la Cie Paname Pilotis
Mise en scène : Cédric Revollon
Interprétation : Camille Blouet, Anaël Guez, Nadja Maire, Sarah Vermande
Marionnettes : Julie Coffinières et Anaël Guez
Scénographie : Sandrine Lamblin
Durée : 1 h 20
Dès 10 ans

Théâtre de Laval CNM • 34, rue de la Paix • 53000 Laval
Le 18 septembre 2025

Spectacle vu dans le cadre du festival Le Chainon Manquant, 34édition, du 16 au 21 septembre 2025

Tournée ici :
• Les 7 et 8 novembre, Théâtre et Cinéma Claude Debussy, à Maisons-Alfort
• le 14 novembre, Théâtre Yolande Moreau, à Vernon
• le 20 novembre, Centre Culturel Athéna, à La Ferté-Bernard

• Les 24 et 25 novembre, Centre Culturel Jean Vilar, à Marly-le-Roi
• le 13 janvier 2026, Théâtre Municipal Berthelot Jean Guerrin, à Montreuil
• Les 25 et 26 janvier, à Thuir

• Les 5 et 6 février, La Ferme de Bel Ebat, à Guyancourt

• le 20 février, Espace culturel Robert Doisneau, à Meudon

• Les 24 et 25 mars, Théâtre de Villefranche-sur-Saône

• Le 27 mars, La Merise, à Trappes

• Les 13 et 14 avril, Théâtre des Franciscains, à Béziers
• Le 2 juin, Maison dans la Vallée, à Avon

Photo de une : © Gilles Le Dilhuidy

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories
MAIN-LOGO

Je m'abonne à la newsletter