« La Campagne », Martin Crimp, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines

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Mensonges et trahisons

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Sylvain Maurice met en scène la pièce de Martin Crimp, « la Campagne », sorte de polar qui fait ressortir la perversité des névroses de couple et des faux-semblants. Une exploration des méandres les plus obscurs de la psyché. C’est malin et percutant avec des interprètes exceptionnels. À ne pas manquer !

Richard, médecin, et sa femme, Corinne, s’installent à la campagne. Fuyant les bruits de Londres, et surtout un passé trouble, ils rêvent d’une vie tranquille. Pas de conforts bourgeois pour autant. Malgré un bonheur de façade, le couple est vite rattrapé par ses démons ; un mystérieux Morris les harcèle presque ; des menaces planent ; la mort rôde.

© Christophe Raynaud de Lage

Un soir, Richard ramène Rebecca, une jeune femme qu’il dit avoir trouvée inconsciente sur le bord de la route. L’atmosphère change du tout au tout, car de non-dits en révélations, la comédie sentimentale vire alors à la tragédie domestique. Sur le sol, un sac, une seringue… mais les secrets demeurent. En ouvrant la boîte de Pandore, la jeune fille va tout de même lézarder l’équilibre fragile du couple.

Trio en proie aux doutes

Entre pièce de boulevard, drame intime et thriller, l’auteur s’amuse à bousculer les codes, non sans ironie. Malgré le thème rebattu de l’adultère, Martin Crimp parvient à nous tenir en haleine. D’abord, son intrigue est bien ficelée. Ensuite, dialoguiste hors pair, il soulève plus de lièvres qu’il n’apporte de réponses aux nombreuses énigmes qui jalonnent la pièce, grâce à la polysémie, aux questions et sous questions, aux coups de théâtre et à une ellipse déstabilisante…. Enfin, il joue avec les mots et ses personnages, comme avec nos nerfs. Il s’infiltre dans les méandres du désir, exhume les fantômes et traque les conflits cachés. Ouvrir ces abîmes fait chanceler l’édifice.

Pour sa dernière création, en tant que directeur du CDN de Sartrouville, Sylvain Maurice renoue avec cet auteur anglais, dont il avait déjà monté Dealing with Clair, en 2011, et c’est une grande réussite. « Ce qui me fascine, c’est que, sous les aspects presque conventionnels ou bourgeois du trio, Crimp traite de la dépersonnalisation. Le couple, sous ses mots, est une machine à essorer le désir et même à anéantir la personnalité », explique-t-il.

© Christophe Raynaud de Lage

Entre réalisme et fantastique, la mise en scène opère divers glissements qui amplifient le mystère. Métaphore du trouble et des faux-semblants, un cyclorama aux couleurs changeantes se déplace, s’ouvre et se referme derrière les personnages, tous sous emprise pour diverses raisons. Une immense table en bois sert d’unique décor. Tantôt élément central du foyer où la fusion s’exprime, lieu de déballage, rempart, scène où la femme joue le rôle attendu par son époux, cette table de campagne est centrale. Épuré, l’espace est sans vie.

Inquiétante étrangeté

La mise en scène s’appuie sur la musicalité du texte, ses subtiles variations, pour laisser infuser le doute, révéler la disharmonie ou souligner l’absurdité de la situation. La direction d’acteur est subtile. Sylvain Maurice a très bien orchestré cette joute verbale, mais la tension est aussi palpable par d’infimes gestes, des déplacements millimétrés, des regards expressifs.

© Christophe Raynaud de Lage

Enfin, les interprètes sont exceptionnels. Isabelle Carré irradie par son jeu ample et nuancé. Tantôt fragile et rusée, son personnage mène la barque jusqu’au vertige du doute, tandis que celui de Yannick Choirat s’impose d’abord par la séduction, avant de devenir nerveux, puis inquiétant. Quant à Manon Clavel, elle nous surprend de bout en bout dans le rôle de cette jeune femme ambiguë mais sensible. Les trois jouent toutes les notes de cette complexe partition. Sans trop vite se dévoiler, ils oscillent entre distance et profondeur pour restituer les rapports de domination et traduire les émotions contradictoires de ces gens aussi ordinaires que monstrueux. Une puissance de jeu qui achève de glacer le sang. 🔴

Léna Martinelli


La Campagne, de Martin Crimp

Publiée chez L’Arche
Traduction : Philippe Djian
Mise en scène : Sylvain Maurice, assisté de Béatrice Vincent
Avec : Isabelle Carré, Yannick Choirat, Manon Clavel
Collaboration artistique : Julia Lenze
Scénographie : Sylvain Maurice, en collaboration avec Margot Clavières
Lumière : Rodolphe Martin
Costumes : Olga Karpinsky
Son : Jean De Almeida
Régie générale : André Neri
Durée : 1 h 20
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, centre dramatique national • 8, place Jacques-Brel • 78500 Sartrouville
Du 22 au 26 novembre 2022
Réservations : 01 30 86 77 79 et en ligne
De 10 € à 22 €

Tournée :
• Du 1er au 3 décembre, Théâtre Montansier, à Versailles
• Du 7 au 9 décembre, la Comédie de Picardie, à Amiens
• Du 5 au 22 janvier 2023, Théâtre du Rond-Point, à Paris
• Du 26 au 28 janvier 2023, Théâtre national de Nice

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