« la Damnation de Faust » d’Hector Berlioz, Opéra de Lyon

David Marton © Blandine Soulage

David Marton régénère Faust

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Nouvelle production à l’Opéra de Lyon, « la Damnation de Faust » d’Hector Berlioz. À la tête de l’orchestre, Kazushi Ono, à la mise en scène, David Marton. Une relecture passionnante d’une œuvre que Berlioz lui-même appelait, non pas un opéra, mais une légende dramatique d’après le « Faust » de Goethe.

Depuis 1994, et sous la direction artistique de Louis Erlo et Kent Nagano, l’Opéra de Lyon n’avait pas pris le risque de proposer une version scénique de la partition au romantisme échevelé de Berlioz. La Damnation de Faust, plutôt collage musical flamboyant qu’œuvre aux fortes tensions dramatiques, se donnait en concert comme une sorte d’oratorio. Sans doute, aujourd’hui, fallait-il réunir à nouveau un couple de dramaturges particulièrement inventifs, l’un pour la musique, l’autre pour le théâtre. L’association de Kazushi Ono et David Marton produit un choc intense et vivifiant pour renouveler l’intérêt de représenter les amours contrariées du Docteur Faust et de Marguerite, passion éphémère que la stratégie perverse de Méphistophélès conduit au désastre. On n’en dira pas plus sur le contenu de la fable, mais on indiquera que, loin des afféteries bucoliques et des simplifications philosophiques du livret, le chef d’orchestre et le metteur en scène ancrent puissamment leur réalisation dans une remarquable transposition contemporaine, clef de voûte de la réussite de leur entreprise.

Vademecum « martonien »

David Marton, pour donner libre cours à son imagination et à son sens critique, bénéficie de quatre atouts majeurs : un orchestre flexible aux harmonies raffinées, des chœurs et une maîtrise capables de toutes les audaces, une distribution chevronnée (Charles Workman, Kate Aldrich, Laurent Naouri, René Schirrer), et une scénographie efficace à l’insolence poétique (Christian Friedländer).

Premier repère : Marton aime les mondes et les hommes blessés. Dans le décor d’une guerre récente, où la nature est étouffée, Faust s’ennuie à son petit bureau, en proie à des rêveries impuissantes à apaiser son spleen. Sa douleur le conduit au bord du suicide. Faust est frère d’Orphée, mais il résiste au geste irréparable.

Deuxième repère : Marton exècre les sociétés autoritaires. Berlioz lui offrant les chœurs comme personnages principaux, il développe avec férocité et humour la manipulation des masses. Il souligne l’incapacité de Faust et Marguerite à échapper à l’engloutissement de leur liberté dans les excès du collectif. Méphistophélès, dont le cynisme cauteleux l’apparente à un apparatchik, n’a de cesse que de dissoudre les élans du couple d’amoureux dans la grisaille acide d’une société anesthésiée.

Troisième repère : Marton s’interroge, comme dans son bouleversant Orphée et Eurydice, créé récemment à l’Opéra de Lyon, sur la transmission des valeurs ou des chimères d’une génération à l’autre. À différents moments, la maîtrise et les chœurs sont à l’ouvrage pour interpréter des scènes d’ensemble surréalistes faisant référence à l’imagerie totalitaire officielle ou à la peinture obsédante de certains tableaux de Magritte. Ces séquences participent avec une force impressionnante à faire ressentir le délitement inexorable de la liaison entre Faust et Marguerite.

Quatrième et dernier repère : Marton s’intéresse au sentiment de frustration qui perturbe ses personnages. Masqué chez Méphistophélès par l’ironie et les sarcasmes, il apparaît clairement chez Faust et Marguerite comme la manifestation du refoulement lié à une sexualité insatisfaite. Tentant désespérément d’outrepasser les normes culturelles et religieuses, les deux amants berlioziens ne connaissent que les échecs d’une sensualité bridée : Faust en voyeur, lamentable peloteur, amoureux inapaisé, habité par l’image radieuse d’une blonde adolescente sensuelle et gourmande, Marguerite complexée, embarrassée par les gestes simples du rapport érotique, réfugiée sous le drap blanc de la pudeur outragée.

Rideaux écarlates

En lisant la liste incomplète de ce qui participe de la dramaturgie de Marton et de sa collaboratrice inséparable Barbara Engelhardt, on perçoit aisément que ce qui fascine, plus que la musique de Berlioz, c’est l’époustouflante théâtralisation de la Damnation de Faust. Tout au long du spectacle, de petits rideaux écarlates brechtiens et le grand rideau d’avant-scène rappellent au public qu’il est au théâtre. Autant de signes éclatants de couleur et d’impertinence. David Marton sait marier l’ancien et le nouveau. Il aime partager le plaisir de souligner et en même temps d’exploser les conventions. Cette dernière production de l’Opéra de Lyon contribue à faire souffler un vent de liberté artistique, originale et sensible manière de rendre hommage à Berlioz souvent critiqué pour ses audaces, et invitation magnifique à s’enthousiasmer pour une création novatrice. 

Michel Dieuaide


la Damnation de Faust, d’Hector Berlioz

Livret d’Almire Gandonnière et du compositeur d’après Faust de Goethe, légende dramatique en quatre parties

Direction musicale : Kazushi Ono

Mise en scène : David Marton

Dramaturgie : Barbara Engelhardt

Décors : Christian Friedländer

Costumes : Pola Kardum

Lumières : Henning Streck

Chef des chœurs : Philip White

Avec : Charles Workman (Faust), Kate Aldrich (Marguerite), Laurent Naouri (Méphistophélès), René Schirrer (Brander)

Orchestre, chœurs et maîtrise : Opéra de Lyon

Assistant à la direction musicale : Philippe Forget

Assistant à la mise en scène : Lucien Strauch

Chefs de chant : Graham Lilly, Futaba Oki

Régisseurs : Georges Vachey, Patrick Azzopardi, Adeline Kespi

Les équipes techniques de l’Opéra de Lyon

Photo de David Marton : © Blandine Soulage

Photos du spectacle : © Bertrand Stofleth

Photo de Kazushi Ono : © Bertrand Stofleth

Nouvelle production en coproduction avec le Landestheater Linz

Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon

http://www.opera-lyon.com/

Tél. 04 69 85 54 54, de 12 heures à 19 heures, du mardi au samedi et les lundis de représentation

Courriel : mailto:billetterie@opera-lyon.com

Représentations : les 7, 9, 13, 15, 20, 22 octobre 2015 à 20 heures, les 11 et 18 octobre 2015 à 16 heures

Durée : 2 h 30 environ

Tarifs : de 10 € à 94 €

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