Ah ! La belle saison !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Il fut un temps où Bernard Kudlak inventait, et avec quelle générosité, le nouveau cirque. Le temps a passé, au gré de créations qui, toutes, ont apporté leur gros grain de folie poétique. Aujourd’hui, il est temps pour lui, et pour toute la troupe formidable du Cirque Plume, d’entamer le dernier voyage. Ils le font en saltimbanques, avec légèreté, dans « La Dernière saison ».
Ceux qui suivent depuis longtemps leurs aventures ne seront pas déçus. Ils retrouveront ce subtil mélange de poésie et de loufoquerie, cette alchimie entre numéros de haut vol et tableaux empreints de nostalgie, cet art des enchaînements que le Cirque Plume, et à sa tête Bernard Kudlak, maîtrise parfaitement. Les images familières, parapluies ou feuilles mortes, évoquant des ciels changeants et une certaine gravité, sont toujours là, de même que le soleil ou la lune, le clapotis de la pluie, les grands drapés, les transparences et toute cette magie qui fait retomber, avec délice, en enfance.
Ceux qui ne connaissent pas encore auront tout loisir d’aller à leur rencontre au gré d’une tournée prévue pour durer trois ans. On ne peut que leur conseiller de saisir cette occasion unique de voir une des grandes superproductions en voie d’extinction, en Europe, en tout cas. D’autant plus que le spectacle est de haute volée : les acrobates composent des numéros, certes attendus, mais parfaitement maîtrisés. Anneau aérien, funambulisme, mât chinois et contorsionnisme se succèdent. Ces deux derniers coupent littéralement le souffle du public. Les clowns, sortes de monstres sortis tout droit d’un Moyen-Âge de cinéma, jouent pleinement leur rôle dans cette fresque historico-naturaliste. Cyril Casmèze, en gorille, est irrésistible ; il complète par ses qualités d’athlète les saynètes drôlatiques.
Un grand spectacle populaire
Ces moments « techniques » (le terme n’enlève rien à leur grande valeur artistique, bien au contraire) sont toujours insérés dans des tableaux qui racontent des histoires, campent des atmosphères, figurent des relations humaines, des sentiments, des émotions. C’est ainsi qu’on peut se laisser guider par de drôles de créatures au plus profond des bois, ou par une farandole aux accents africains ; qu’on peut suivre, en direct et en accéléré, l’évolution de l’humanité.
Le passage du singe à l’homme et l’évocation des étranges animaux qui peuplent l’imagination de Bernard Kudlak sont autant d’occasions de composer tout un bestiaire bizarroïde, qui rappelle Jérôme Bosch. Las, le monde aujourd’hui est plein de sacs plastiques – des monstres autrement plus dangereux que les premiers. La dernière saison que décrit Bernard Kudlak, soudainement très lucide, fait froid dans le dos. La valse dans le vent de ces artefacts immortels, toute esthétique qu’elle soit, donne un coup de frein sinistre à l’envolée imaginaire.
Ces petites histoires sans paroles, qui se dévoilent l’une après l’autre, sont accompagnées par un orchestre inventif, capable de sauter du jazz à la musique tzigane, en passant par quelques notes classiques qui revisiteraient le rock ou le blues. Une partition chatoyante signée Benoît Schick. Les musiciens – contrebassiste, pianiste, saxo et autres – semblent commenter le spectacle qui se joue sous leurs yeux. Il est vrai que, pour la plupart, ils sont partie intégrante de la troupe depuis fort longtemps. Tout cela compose un ensemble très cohérent et en même temps complexe, sans temps mort, fluide, savamment orchestré par Bernard Kudlak en personne, manifestement très heureux de se présenter comme le grand manitou de ce moment infiniment joyeux et généreux.
Il faudrait encore parler des lumières de Fabrice Crouzet, véritable magicien d’images, avec son complice Yan Bernard aux effets spéciaux, et de la variété des formes qui mêlent nostalgie, humour et poésie. La plus grande qualité de ce Cirque Plume est de proposer un spectacle authentiquement populaire, qui sait s’adresser aux petits comme aux grands, aux connaisseurs comme aux néophytes, à tout ce public composite qui ne boude pas son plaisir et en redemande, encore et encore. ¶
Trina Mounier
La Dernière Saison, Cirque Plume, Festival des Nuits de Fourvière à Lyon
Direction artistique, écriture du projet et scénographie : Bernard Kudlak
Compostions musicales, directeur musical, chef d’orchestre : Benoit Schick
Assistant à la mise en scène, direction d’acteurs : Hugues Fellot
Avec : Nicolas Boulet, Cyril Casmèze, Julien Chignier, Natalie Good, Pierre Kudlak, Jacques Marquès, Anaelle Molinario, Bernard Montrichard, Amanda Righetti, Xávi Sanchez Martinez, Benoit Schick, Brigitte Sepaser, Analia Serenelli, Laurent Tellier-Dell’Ova
Direction technique : Jean-Marie Jacquet
Direction de production : Dominique Rougier
Réalisation costumes : Nadia Genez
Création lumière : Fabrice Crouzet
Création son : Jean-François Monnier
Effets spéciaux : Yan Bernard
Chorégraphies : Bouba Landrille Tchouda
Coaching animal : Cyril Casmèze
Création accessoires : Hugues Fellot, Bernard Kudlak, Brigitte Renaud
Coaching acrobatie et art du cirque : Maxime Pythoud
Photo © Loll Willems
En partenariat avec Maison de la Danse
Parc de Parilly, du 30 juin au 5 août 2017, relâche le dimanche et les lundis 17 et 31 juillet
Réservations : 04 72 32 00 00
Durée : 1 h 40
De 28 € à 36 €
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