Rouge passion
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Olga Pericet fait partie des femmes qui révolutionnent le flamenco. Dans le cadre de la Quatrième Biennale d’art flamenco, à Chaillot, elle a présenté un spectacle audacieux, entre traditions et modernité, où elle s’est beaucoup livrée, au gré de ses transformations. On aime passionnément.
Sur le vaste plateau de la salle Jean Vilar, la bata de cola fait l’objet de toutes les attentions. Portée ou délaissée, virevoltante ou exposée, la traditionnelle jupe à traîne en voit de toutes les couleurs. Robe à froufrous et talons sont quelques-uns des attributs de la féminité associés au flamenco. Olga Pericet explore justement plusieurs facettes de sa condition de danseuse, prétexte à retracer l’évolution de son parcours. Entre poupée mécanique déréglée et chorégraphe accomplie, voire débridée.
Le titre signifie « L’épine qui souhaitait devenir fleur » ou la fleur qui rêvait d’être danseuse. Car Olga Pericet éclot sous nos yeux. Comme les racines sont profondes, l’étoffe pourpre de sa robe compose une corolle magnifique.
Sincérité du geste
Cette grande figure contemporaine du flamenco a obtenu Le Prix Max de la meilleure danseuse en 2015. Le Prix National de Danse lui a aussi été décerné en 2018. En effet, elle maîtrise parfaitement son art, y compris les castagnettes, rarement maniées de la sorte. Mais les enchaînements sont originaux. Mouvements saccadés et flamboyants alternent avec des interprétations plus personnelles, fluides ou aériennes.
Ici, Olga Pericet assure également la chorégraphie et la mise en scène, avec Carlota Ferrer à la dramaturgie. Elle peut donc donner libre cours à ses audaces stylistiques, en compagnie de ses complices, dont un danseur qui ne manque pas de panache.
Et la danseuse joue à merveille des codes, consacrant même une longue séquence aux chaussures. D’ailleurs, elle s’amuse beaucoup sur scène – et nous avec : partie de foot, clin d’œil aux western spaghetti tournés en Espagne… Les références fusent, comme ce combat entre un cheval et une poule. Mais les parades ne se cantonnent pas à la basse-cour. Olga Pericet convoque les contes et évolue dans un univers très plastique.
Burlesque et spirituel
La branche épineuse géante qui transperce le sol du plateau évoque La Belle au Bois Dormant. Après un long sommeil, Olga Pericet se campe sur une table bien massive, pavoise et entre littéralement en transe, pour séduire les trois musiciens qui l’entourent. Sont-ils rivaux ou plutôt des « anges » échappés du duende (« lutin, charme » en espagnol), morceau de bravoure propre au flamenco traditionnel ? Cet instant magique, ce mystère ancestral durant lequel le chant, la danse et la guitare ne sont qu’harmonie et enchantement, est un moment de grâce absolue. Et cette émotion brute, animale, charnelle nous envoûte.
Olga Pericet enlève le drame au flamenco, mais pas la profondeur du propos. Si les corps à corps réveillent les sens, les chants incarnent des valeurs universelles de respect mutuel. Avec cette musique qui parle à l’âme, il y a, de façon palpable, une dignité faite d’amour et de partage, un don total de soi, une ouverture au monde.
En quelques tableaux, c’est toute l’Espagne et ses traditions qui vibrent. Claquements de mains, battements de pieds et castagnettes donnent un rythme trépidant, tandis que les chants déchirent le cœur, à force de lamentations. Cependant, pour nous mener dans d’autres contrées, ces saveurs andalouses marient puissance d’expression, sensualité et burlesque. Ces pas de côté – autant de recherches stylistiques passionnantes – font le sel de ce spectacle aussi percutant que bouleversant. ¶
Léna Martinelli
La Espina que quiso ser flor…, d’Olga Pericet
Mise en scène et dramaturgie : Carlota Ferrer
Direction artistique et chorégraphie : Olga Pericet
Avec : Olga Pericet (danse), Jeromo Segura, Miguel Lavi (chant), Antonia Jiménez, Pino Losada (musique)
Assistant à la direction et conseils chorégraphiques : Marco Flores
Direction musicale : Olga Pericet et Marco Flores
Musique : Antonia Jiménez, Pino Losada
Scénographie : Silvia de Marta
Chaillot – Théâtre national de la Danse • Salle Jean Vilar • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris
Du 30 au 31 janvier 2020
Dans le cadre de la Quatrième Biennale d’art flamenco
Teaser ici
Renseignements : 01 53 65 30 00
Réservations en ligne ici
De 11 € à 38 €