« la Estupidez », de Rafael Spregelburd, Théâtre national de Chaillot à Paris

la Estupidez @ Christian Berthelot

Las Vegas en CinémaScope

Par Ingrid Gasparini
Les Trois Coups

Reprise ! « La Estupidez » nous revient dans la salle Jean-Vilar de Chaillot pour trois heures trente de boulevard « new look ». Détournant les codes du cinéma de genre, la pièce de Spregelburd suit les errances de 24 personnages paumés à Las Vegas. De fausses scènes d’anthologie se succèdent à toute allure dans des décors mouvants et acidulés. Mais rien n’y fait, malgré des dialogues déjantés dignes de Tarantino et une distribution de haut vol (Marina Foïs, Karin Viard), la pièce ne décolle pas. Et pire… on s’ennuie !

D’abord, l’écriture est morcelée. Cinq lignes narratives avancent en même temps avec comme unique point commun le lieu : un motel bon marché de Las Vegas. On y croise toute une faune de série B, des flics homosexuels, des marchands d’art véreux, une journaliste prête à tout et une bande de postados avec des Q.I. inversement proportionnels à leur beauté plastique. Comme dans un film de Robert Altman, les destins s’entrecroisent sans jamais converger véritablement. Cette vision fractionnée du récit, d’une efficacité redoutable au cinéma, semble difficilement transposable sur un plateau.

La mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et d’Élise Vigier finit par s’enliser dans une lourdeur de dispositifs malgré des déploiements d’ingéniosité. La scène est pensée comme un énorme écran. Avec une lecture sur plusieurs plans. Utilisant toute la profondeur de champ, les comédiens jouent deux situations différentes simultanément. Le spectateur, en choisissant de suivre une histoire plutôt qu’une autre et en commutant à loisir, crée lui-même son propre montage. Une sacrée trouvaille en soi. Mais, là encore, pas de limite, on nous rajoute du multiangle, du play-back, des inserts vidéo plutôt ratés et des didascalies surtitrées. Une débauche de moyens qui collent avec les élans baroques du texte, mais qui frôlent la saturation.

Alors, bien sûr, les décors sont impressionnants et changent à la vitesse de la lumière. On sent qu’il fait chaud dans ces chambres de motel avec vue sur le désert. C’est un régal aussi de voir les personnages ivres morts au bord de la piscine ou autour d’un barbecue en plein air. On découvre avec plaisir cette succession de Polaroid du grand Ouest américain version sitcom déviante ou Nouvel Hollywood. Une belle oasis au cœur de l’ennui.

Cinq comédiens de grand talent assument tous les rôles de la pièce et surnagent tant bien que mal dans cette soupe de pop culture. Pris dans l’urgence de cette dramaturgie du costume, ils se griment avec la vélocité d’un Arturo Brachetti. On sent qu’ils prennent un plaisir fou à ce jeu-là et on aimerait être une petite souris pour voir le joyeux bordel qui se joue en coulisse. Au cœur de ce tourbillon, Marina Foïs donne l’impression qu’elle peut tout jouer, de l’enfant handicapé à la vamp, en passant par la fille paumée qui débite ses tirades à tiroir. De son côté, Karin Viard, un peu sous-exploitée, joue la carte comique dans des rôles de bimbo décérébrée ou d’agent double infiltré. Mais l’écriture de Spregelburd se situe dans un registre non psychologique, et les comédiens sont utilisés comme des modèles. Des corps, des stéréotypes au service de situations : difficile dans ce contexte d’aller plus loin dans l’émotion.

Évidemment, on sait que l’auteur argentin est novateur. Qu’il a inventé une forme expérimentale où l’on peut citer la télé sans culpabilité, qu’il nous sert des dialogues juteux qui hésitent entre littérature de gare et telenovelas. On sait tout ça. Et on aime ses histoires folles, avec des intrigues pompées a l’industrie du cinéma fauchée, et tant pis si ça fait trembler les gardiens du temple. Mais rien n’y fait : on s’ennuie. Et cette pièce nous fait l’effet d’un petit garçon qu’on s’obstine à habiller en petite fille. Comme si ce texte‑là était taillé pour le cinéma. 

Ingrid Gasparini


la Estupidez, de Rafael Spregelburd

Mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier

Dramaturgie : Guillermo Pisani

Avec : Marcial Di Fonzo Bo, Marina Foïs, Pierre Maillet, Grégoire Œstermann et Karin Viard

Et les voix de : Adrien Melin, Jenny Mutela, Julien Villa et Patrick Poivey

Décor : Vincent Saulier

Lumière : Maryse Gautier, assistée de Bruno Marsol

Costumes : Anne Schotte, assistée d’Isabelle Wagner

Perruques et maquillages : Cécile Kretschmar

Musique : Claire Diterzi

Sculpture : Anne Leray, assistée de Jean‑Paul Redon

Stagiaires mise en scène : Enora Boëlle, Alexis Lameda

Entraînement à la langue des signes : Anne Lambolez

Photographies : Stephen Shore

Photo : © Christian Berthelot

Théâtre national de Chaillot • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris

www.theatre-chaillot.fr

Réservations : 01 53 65 30 00

Du 2 au 14 juin 2009, du mardi au samedi à 20 heures, matinées le dimanche à 14 h 30, relâche les lundis

Durée : 3 h 30, avec entracte

27,5 € | 21 € | 12 €

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