La fille qui fait un tabac…
Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups
La légende, qui veut que les doubles initiales portent bonheur, est une nouvelle fois vérifiée. La comédienne, metteuse en scène et désormais auteur Cécile Carles vient de le prouver sur les planches du Pavé : « La Fille qui sent le tabac » est certainement une joie pour elle au regard de son succès, mais l’est surtout pour le public, sorti tout chamboulé de cette prestation, allez… disons‑le… simplement sublime.
La Fille qui sent le tabac est une naissance. La naissance d’une auteur insoupçonnée jusqu’alors, y compris, peut-être, par l’auteur elle-même. La naissance d’une artiste complète, qui vous attrape par la vérité de ses mots, la force de sa voix et la fragilité de son corps, jetées ensemble dans l’arène tous les soirs, avec énergie et bravoure. La naissance d’une pièce, enfin, qui fera date dans la trajectoire de cette comédienne que l’on croyait connaître. Évidemment, on se trompait.
La petite histoire veut que l’écriture soit née d’un mouvement de colère et de révolte, après que l’écrivain Alina Reyes a retiré sans préavis les droits d’un texte, sur lequel Cécile Carles travaillait depuis plus d’un an, sous la direction de Valérie Pangrazzi.
« Le bec cloué », comme aime à le raconter la comédienne, l’oiseau blessé s’est précipité « par instinct de survie » sur une page blanche. Puis, assez vite, en jets successifs et réguliers, et au grand étonnement de Cécile elle-même, le texte s’est imposé à elle sous la forme de ce récit singulier, mordant, émouvant, évoquant la question terrible de l’inceste sur mineure.
Louisa Montagne a 5 ans, et son père la visite nuitamment. De cet « évènement » et de toute la noirceur de son sujet, une surprenante poésie d’amour est née : amour pour l’humanité, pour les joies de l’enfance et pour les petits bonheurs de la vie. Parole libérée par une voix tantôt de gamine, tantôt de guerrière « quadra », les révélations et mantras se succèdent, avec une puissance poétique rare. La bande-son (opéra, piano, musique flamenca) escorte de ces pensées, pose comme en plus une protection délicate sur les émotions féminines, dont le plateau est chargé…
Le beau et la boue…
Au fil de sa narration, seule avec son courage, Cécile Carles se donne tout entière. Avec quelle facilité, elle passe du cri à la caresse, de la caresse au cri, engageant tout son être, le voulant libre de corps mais aussi de parole ! Maîtresse absolue du verbe, elle ne s’interdit rien, s’autorise tout : humour, poésie, érotisme, discours plus politique. Tous les registres de langue sont mis en concurrence : le beau et la boue se partagent le terrain et l’anaphore « j’emmerde » côtoie le « Luxe, calme et volupté » de Baudelaire… Sous la présence tutélaire de la chanteuse Barbara, sorte de marraine jamais nommée, Cécile dit ce qu’elle veut à qui elle veut, sans faire de la couture : là, on trouve le je de l’intime, la minute d’après, le tu de la colère, ou encore le vous complice destiné au public. Le public qu’elle amuse, qu’elle charme, qu’elle vampe, qu’elle engueule aussi. Le public qu’elle tient à sa merci.
Un mot enfin de la scénographie et de la mise en scène, qui permettent également ce miracle. Dans un espace, qui pourrait être tout à la fois celui symbolique de la cuisine, d’une chambre pour enfant, ou d’une scène de spectacle, Louisa (Cécile) est toutes les femmes de sa vie : petite fille, adulte amoureuse qui prépare une tarte aux pommes, rebelle qui clope à presque tous les âges ou encore artiste mise à nu sous les paillettes et les stroboscopes. L’apport du son et de la lumière par Grangil Marrast est d’ailleurs remarquable. L’éclairage à la bougie pose une jolie couleur sur un texte parfois très sombre… Quant au travail sonore, c’est un bécarre posé sur une partition livrée souvent à voix haute et une délicatesse ajoutée à la délicatesse dans les moments de grâce.
Voilà, tout est dit. Rares sont les instants au théâtre qui vibrent d’une telle humanité ; dans lesquels l’émotion vous colle à la peau et aux vêtements, plusieurs jours après avoir quitté la salle. Vraiment, Cécile Carles est une artiste qui ne triche pas. Sa sincérité, c’est son talent, et quel talent ! ¶
Bénédicte Soula
la Fille qui sent le tabac, de Cécile Carles
Cie Post Partum • 4, rue du Capitaine‑Dreyfus • 31520 Ramonville-Saint‑Agne
Courriel : postpartum@laposte.net
Mise en scène : Cécile Carles
Avec : Cécile Carles
Scénographie : Cécile Carles
Costumes : Stéphanie Barutel
Son et lumière : Grangil Marrast
Diffusion : Loïc Mirouze
Photo : © Théâtre du Pavé
Communication : Laure Hunot
Coproduction : Grenier Maurice-Sarrazin
Théâtre du Pavé • 34, rue Maran • 31400 Toulouse
Métro : ligne B, station Saint‑Agne S.N.C.F. + 2 minutes à pied
Réservations : 05 62 26 43 66
Du 21 au 25 mars 2017, à 20 h 30 du mardi au samedi
Durée : 1 h 30
18 € | 14 € | 8 €
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