« La fin du monde est pour dimanche », de François Morel, Théâtre de Montbéliard

« La fin du monde est pour dimanche » © Jean-François Robert

Vivement dimanche !

Par Maud Sérusclat-Natale
Les Trois Coups

En ce début d’année maussade, François Morel a eu la bonne idée de venir à Montbéliard pour jouer son dernier spectacle « La fin du monde est pour dimanche ». Une vraie bouffée d’oxygène, pleine de tendresse, d’humour et de mots doux.

Je n’aime pas trop les solos. Mais lui, lui, je l’adore, et depuis longtemps. Je me suis donc précipitée, comme de nombreux Montbéliardais, pour le voir. Et j’ai bien fait. Devant moi, un rideau rouge et un piano. Nous l’attendons. Mais c’est la voix d’Anna Karina qui résonne. Elle est projetée sur le rideau, dans une scène de Pierrot le Fou, celle du fameux « Qu’est‑ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire ! ». Alors, François Morel surgit sur le plateau pour tenter de la tirer de sa torpeur. Il lui propose tout naturellement d’aller faire des frites et lui suggère après quelques minutes de conversation d’arrêter de faire chier. Le ton est donné.

On attendait un spectacle drôle, on a été servi. François Morel égrène pendant une heure une galerie de personnages tous fantasques et bien choisis, que réunit la question du temps qui passe. Il y a cette ménagère de plus de cinquante ans qui danse dans sa cuisine sur un bon vieux tube de Sheila en pensant à sa jeunesse ; ce comédien qui n’a jamais fait carrière, mais qui nous livre une tirade digne de Corneille ; et ce grand-père qui, à l’aube, perché sur le brouillard du matin, admire avec son petit-fils le panorama. Il lui « fabrique des souvenirs » en lui donnant une petite leçon de philosophie.

« La vie c’est comme une semaine, à partir du mercredi ça s’accélère »

Si François Morel confie dans sa note d’intention qu’il rêve de faire un « spectacle existentiel », il n’est pas loin d’avoir réussi. Sa belle plume, précise, douce et amère, nous livre une réflexion sur le sens de la vie, sur la fuite du temps et sur la quête du bonheur. Un grand classique, mais très brillamment revisité : sans pathos, avec humour évidemment, mais surtout avec poésie, pour ne pas dire lyrisme. Ce sens de la mesure, de la justesse dans l’écriture et dans l’interprétation, empreint de cette délicatesse légère et rare, n’a pas manqué de m’émouvoir. Beaucoup. Comment ne pas se reconnaître dans chacun des personnages qui défilent ? Comment ne pas reconstituer le puzzle de sa propre vie, remettre dans l’ordre les bribes de souvenirs des discours de ses parents ou de ses grands-parents que l’on avait jadis jugés pompeux ou simplistes. Les « tu verras » ou les « on en reparlera quand tu auras mon âge » resurgissent l’air de rien, mais débarrassés des scories que nous leur avions laissées, ces traces d’agacement ou de colère futile d’adolescent compassé… Sagement, on accepte de les réentendre et on se rend compte que même si on se croit encore mardi, on est en fait bientôt arrivé au mercredi. Et « le mercredi, ça s’accélère », alors il faut profiter de la vie.

Pour ne rien gâcher, ce spectacle est très bien pensé et mis en scène. François Morel n’est accompagné que d’un piano qui partage la scène avec lui et qui joue, seul, les morceaux qu’on lui demande. Petit à petit, il devient un véritable interlocuteur, et la musique occupe une place de choix. L’âme de Bourvil survole alors le plateau. Enfin, le recours à la vidéoprojection est à la fois moderne, graphique, presque esthétique, et pertinent. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que cette heure de métaphysique appliquée soit partagée avec bonheur. Vous savez, ce « salaud qui entre par effraction » et dont on ne prend conscience que lorsqu’il est reparti… On apprend à ouvrir l’œil et à boucler nos gueules parce qu’on ne peut pas passer sa vie à râler. On se sent mieux, on se sent grandi, joliment grandi, presque prêt à affronter le lendemain avec le sourire. Merci ! 

Maud Sérusclat-Natale


La fin du monde est pour dimanche, de François Morel

Mise en scène : Benjamin Guillard

Avec : François Morel

Scénographie, lumières et vidéo : Thierry Vareille

Effets vidéo et postproduction : Étienne Wajdt

Assistant à la lumière : Alain Paradis

Musique : Antoine Sahler

Son : Mehdi Ahoudig

Costumes : Christine Patry

Collaboration artistique : Lionel Ménard

Photo : © Jean-François Robert

Théâtre de Montbéliard, MA scène nationale • rue de l’École‑Française • 25200 Montbéliard

Réservations : 0805 710 700

billeterie@mascenenationale.com

Les 20 et 21 janvier 2015 à 20 heures

Durée : 1 h 20 environ

20 € | 10 €

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