« La Fin du présent », collectif  INVIVO, Théâtre de l’Union, Limoges

INVIVO - La Fin du Présent - Scoptione 2024 © David Gallard

Maeterlinck : obsolescence déprogrammée

Laura Plas
Les Trois Coups

Poursuivant son exploration de l’œuvre de Maeterlinck, le collectif INVIVO propose un triptyque en apesanteur. « La Fin du présent » est un spectacle aussi désorientant que saisissant, sur le plan visuel, d’ailleurs lauréat du Prix SVSN (Spectacle Vivant, Scènes Numériques) remis au Festival d’Avignon 2023). Une manière de faire enfin entendre Maeterlinck.

L’an passé, Julien Dubuc mettait en scène Les Aveugles, forme casquée pour douze spectateurs. Il poursuit aujourd’hui son exploration de l’œuvre de Maeterlinck en articulant cette fois trois œuvres courtes : Intérieur, L’’intruse et Les Sept Princesses. Il parvient à en faire un tout organique et un parcours immersif : La Fin du présent.

Sidérante par sa beauté plastique, cette proposition peut laisser songeurs mais pas indifférents. Pourquoi ? À coup sûr, l’amateur de théâtre classique pourrait sortir interloqué. Séparé des acteurs tantôt par une vitre, tantôt par une surface de projection, il lui faudra en effet renoncer à la chair du théâtre. Voyant les interprètes comme perchés sur les hauteurs d’une tour, parfois abolis en son antre mystérieux, il regrettera peut-être la transpiration, les voix portées, bref, ce contact si organique qui fait vibrer une salle à l’unisson.

Et justement, d’unisson, sous casque il n’est pas question. C’est à une expérience intime que nous sommes conviés, invités à plonger en nous-mêmes. Ici, les acteurs ne sont que les pièces d’une expérience qui donne plus de place à la création sonore, la vidéo ou à la scénographie. Ce sont les figures spectrales d’un théâtre symboliste onirique.

Bulles et limbes

Il n’y a pas non plus d’histoire, plutôt des bulles narratives. De belles bulles aux multiples irisations, aussi vite constituées sur notre rétine qu’abolies. Pourtant, elles nous font palper l’insaisissable, ce qui affleure et ne se dit pas. La langue de Maeterlinck prend d’ailleurs dans ses volutes et ressassements, comme des accents durassiens. Évidemment, donc, pas de propos engagés dans une actualité. Si Maeterlinck revit ici, ce n’est pas d’être au présent. Nous avons plutôt l’impression de nous promener sur une crête entre la vie et la mort, dans une zone de limbes indécidables et atemporelles.

Par contre, on entend l’auteur comme on ne l’avait jamais lu, vu. Son obsolescence semble déprogrammée. Et ce n’est pas l’emploi de technologies qui le ramène d’entre les auteurs morts, mais plutôt la façon dont ces dernières sont mises au service d’une partition subtile. Sous casque, nous percevons souffles, suspens de la voix : un domaine des murmures. Nous nous trouvons donc dans une présence-absence que compose aussi une scénographie faite de voiles, de vitres. La transparence est bien ici obstacle. Quant à la vidéo, elle permet de superposer aussi des présences « réelles », à celles que seuls les aveugles pressentent dans ces pièces. Leurs images ondoyantes, pixelisées nous amènent à rêver. Et puis leur beauté fait songer à l’Ordet de Dreyer, aux formes pures de Craig ou Appia. Elle a le pouvoir de redonner sens à une œuvre peu connue, peu montée.

À la dérive du conte

Ce sens s’avère en même temps multiple, il est sans cesse dénoué et retissé. Car le triptyque fait entendre des échos entre des mots, des accessoires (les bougies aux connotations religieuses et mortuaires), des noms de personnages. Peut-on alors aller jusqu’à relier les trois pièces ? Doit-on penser, par exemple, le deuxième volet comme une réécriture du premier, depuis l’espace du dedans ? Nous ne le saurons jamais, condamnés à voir émerger et s’évanouir nos hypothèses. Nous avançons dans le brouillard épais des contes et légendes.

D’ailleurs, le dispositif extrêmement intelligent de départ nous met dans la position des auditeurs d’une veillée. L’excellent parti pris de faire entendre les didascalies des pièces nous fait dériver en terres de récit. Cela agacera l’amateur de clarté, mais l’on en arrive, alors, comme Metellus, dans les Sept Princesses, à aimer ce qu’on voit le moins bien.

En tout cas, on pressent que le triptyque est une tentative d’approche d’un instant de bascule, entre vie et mort certainement, mais aussi entre dedans et dehors, spectateurs et herméneutes actifs. C’est exigeant, mais troublant. Par conséquent, on a vraiment l’impression qu’entre le Collectif INVIVO et Maeterlinck, pourrait se dire réciproquement « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Reste à découvrir ce qu’il pourrait proposer sur d’autres auteurs. À suivre !

Laura Plas


La Fin du présent, de Julien Dubuc-INVIVO

D’après les trois textes de Maeterlinck : Intérieur, L’Intruse et Les Sept Princesses, éditées sous le titre Petite Trilogie de la mort aux Éditions Espace Nord
Site du Collectif
Mise en scène: Julien Dubuc
Avec : Sumaya Al-Attia, Jeanne David, Grégory Fernandes, Alexandre Le Nours, Lauryne Lopes De Pina, Rémi Rauzier, Émilie Waïche
Durée : 1 h 45
Dès 14 ans
Théâtre de l’Union CDN du Limousin • rue des coopérateurs • 87000 Limoges
Les 7 novembre et 8 novembre 2024

Tournée ici :
• Du 12 au 14 décembre, Théâtre des Gémeaux scène nationale, à Sceaux (92)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Glovie, Deug Doen Group, Théâtre de l’Union, par Laura Plas

Photos : © David Gallard

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