« La Folle Journée », Beaumarchais, Léna Bréban, Philippe Torreton, critique, la Scala Provence, Festival Off Avignon 2025

La-Folle-Journée-ou-le-Mariage-de-Figaro-Beaumarchais-Léna-Bréban-Philippe-Torreton © Ambre-Reynaud

Figaro-ci, Figaro-là !

Florence Douroux
Les Trois Coups

Beaumarchais était bien plus qu’insolent. Il était génialement dénonciateur d’une société dominée par les puissants et dans laquelle les hommes régnaient en maîtres sur les femmes. Léna Bréban s’empare de « la Folle Journée ou le mariage de Figaro », hissant l’étendard dans une adaptation habile et pleine d’allant, menée tambour battant. Philippe Torreton est un Figaro inoubliable.

Comédie en 5 actes riche en rebondissements et quiproquos, avec intrigues amoureuses rocambolesques et dénouement heureux, la Folle journée n’est pas seulement un conte libertin, on le sait bien. Loin de là. Pour preuve, son titre original « l’époux suborneur », écarté par Beaumarchais afin d’« ôter de l’importance ». Pour preuve encore, les longues années de censure précédant le triomphe de l’œuvre, à sa création en 1784. Au-delà de « la plus badine des intrigues », l’auteur y dénonce « une foule d’abus qui désolent la société ».

On ne peut mieux synthétiser la pièce que Beaumarchais, lui-même, dans sa préface : « Un grand seigneur espagnol, amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle veut épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune, et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux ». Figaro, le valet, doit donc épouser Suzanne, convoitée par le comte, qui espère bien, le jour des noces, exercer son droit de cuissage sur l’épousée. La comtesse délaissée ourdira avec sa camériste, tandis que Marceline entend bien, elle aussi, se faire épouser par Figaro. Entre elles, Chérubin en émoi.

Résonnance

Léna Bréban a dompté en à peine deux heures l’une des pièces les plus longues et les plus complexes du répertoire français. 92 scènes, des protagonistes en grand nombre, un flot de mots dans un rythme frisant la frénésie… La difficulté était de taille. Mais elle livre une adaptation maîtrisée, triple galop contrôlé de A à Z, dans laquelle le verbe du XVIIIsiècle trouve une résonnance contemporaine particulière.

« L’acuité de Beaumarchais sur les rapports de domination est fascinante », explique-t-elle. Ainsi a-t-elle à cœur – et cela se sent – de mettre sous le feu des projecteurs ces vérités qui « désolaient » déjà la société, il y a plus de deux siècles. Le plateau est enflammé de la toute-puissance du maître des lieux et de l’humanité courageuse du valet.

Beaumarchais n’y va pas par quatre chemins, Léna Breban non plus. D’un côté, un immense tableau, quasi-monumental du couple de maîtres, le comte debout, une main dominatrice sur l’épaule de sa femme ; de l’autre, les trois bouts de ferraille offerts par le conte, à Figaro, « ce beau lit que Monseigneur nous donne ». Le ton est donné.

Une joyeuse effervescence

Le spectacle est sans répit, ni baisse de régime. Cultivant une évidente complicité avec le public, Léna Bréban fait démarrer l’aventure par quelques roulements de tambours non loin du premier rang, devant un rideau baissé, et multiplie les entrées en scène, proches du parterre. Elle a l’art et la manière de faire surgir les comédiens et les comédiennes, d’où on ne les attend jamais, ménageant surprise et soudaineté. Figaro par-ci, Figaro par-là.

Une très belle scénographie, signée Emmanuelle Roy, permet de rapides changements de décor. En fond de scène, une immense toile de jouy froissée puis tendue, signifie efficacement le changement de lieu, dévoilant au centre la fameuse fenêtre permettant la fuite de Chérubin. Les grands marronniers abritant les rendez-vous secrets à la brune sont remplacés par des échafaudages et des échelles, en mode travaux, « espaces en reconstruction / construction », explique Léna Bréban. Une belle réussite visuelle, qui corrobore le credo déterminé de la mise en scène : un monde à refaire.

Une distribution de choix

Ce grand charivari osant le burlesque et l’outrance est mené par une équipe au taquet. Marie Vialle est une Suzanne débordante de vie et d’ingéniosité, Annie Mercier, une merveilleuse Marceline, qui déchaîne le rire dès son arrivée sur le plateau et plaque de sa voix grave, les considérations les plus féministes de Marivaux. Une belle surprise, aussi, de voir Antoine Prud’homme de la Boussinière en Chérubin, habituellement joué par des femmes plutôt petites. Déjà dirigé par Léna Bréban dans Sans Famille au Vieux-Colombier, il est parfait en grand jeune homme romanesque, parfois clownesque, sensible à tous les jupons.

On devrait tous les citer. Mentionnons Grégoire Ostermann, remarquable dans le rôle du Comte. Beaumarchais l’imaginait « noble », « gracieux » et « libre » : c’est lui. Le comédien affiche une décontraction souriante à toute épreuve, de celle qui ne se sépare jamais du « bon ton », exigé par l’apparence. Dans son grand fauteuil de juge, il ne manque au comédien affable que le sceptre pour figurer le bon roi sous son chêne. L’image est géniale.

Figaro incarné

Enfin, il y a Philippe Torreton, l’alpha et l’oméga de la pièce. Après avoir joué Figaro, en double distribution, avec Thierry Hancisse, puis incarné Scapin, le « cousin des faubourgs », le voici revenir en prodigieux Figaro. « Pas n’importe lequel », précise-t-il, « celui qui se nomme Emmanuel ! », « ce garçon gai parce qu’il n’a pas le choix ». Cet acte V, scène 3, nous l’attendions. Seul sous un projecteur, le reste du plateau baigné de noir et de silence, Philippe Torreton, acteur engagé s’il en est, s’empare de ce long monologue de révolte sociale et politique : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! (…) Noblesse, fortune, un rang, des places : tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître… ».

On s’incline devant la performance, bouleversante, qui soulève un tonnerre d’applaudissements.

Florence Douroux


Le texte est édité, notamment, chez Gallimard
Adaptation et mise en scène : Léna Bréban
Avec : Philippe Torreton, Marie Vialle, Éric Bougnon, Gretel Delattre, Salomé Dienis Meulien, Annie Mercier, Jean-Jacques Moreau, Grégoire Ostermann, Antoine Prud’homme de la Boussinière, Jean-Yves Roan
Durée : 1 h 50 
Dès 12 ans

La Scala Provence • 3, rue Pourquery de Boisserin • 84000 Avignon
Du 5 au 27 juillet 2025 (sauf le lundi), à 18 h 30
De 12 € à 27 €
Réservations : en ligne ou 04 65 00 00 90 
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

Tournée :
• Du 6 septembre au 4 janvier 2026, la Scala Paris (75)

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Figaro ! », Beaumarchais, par Trina Mounier
« Sans famille », Hector Malot, Léna Bréban, par Florence Douroux
« Le Funambule », Jean Genet, Philippe Torreton, par Florence Douroux

Photos : © Ambre Reynaud © Louis Salto

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories