Dans la solitude de la relation commerciale
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
C’est une histoire d’hommes, de cinq représentants de commerce que lie le même produit vendu ou le même employeur. Une histoire qui pourrait être écrite par un sociologue à la Bourdieu. Mais c’est du Pommerat, et c’est du théâtre. À base de vraies gens.
Il paraît que Joël Pommerat fut lui-même représentant de commerce, payé à la commission. Et aussi qu’il a enquêté auprès de ces forçats du capitalisme qui croient dans les vertus de l’entreprise : courage, astuce, volonté, niaque… Alors qu’ils sont les dernières roues du char, même pas salariés, sans couverture, sans droits… Des sous-prolétaires envoyés aux quatre coins de France, séparés de leur famille, et qui n’ont d’autre choix que de mettre le pied dans la porte du plus misérable qu’eux pour lui refiler… un pistolet d’alarme peu fiable ou une police d’assurance.
Tous les soirs, ils se retrouvent dans une des chambres qu’ils occupent dans un hôtel anonyme et ils se racontent leur journée. Le décor est réduit à un lit, une télévision, un téléphone sur la table de nuit, une chaise, un lampadaire. Ce décor change de disposition à chaque scène, mais demeure en tout point identique : c’est un huis clos désespérément neutre dans lequel le monde extérieur pénètre par la petite lucarne (ah ! que les échos sauvages de Mai 68 font peur à ces hommes dont le costume-cravate est devenu l’uniforme !) ou les appels d’une épouse quand il en reste une et qu’elle n’est pas partie. Ces hommes vivent seuls, et leurs retrouvailles en forme de bilan sont leur seule occasion de vrai dialogue, leur seul échange humain. L’occasion de se mesurer aussi, de se jauger, de se voir comme dans un miroir.
Ils ne sont pas sympathiques, tout juste pitoyables de défendre contre tout et d’abord contre eux‑mêmes un métier qu’ils présentent comme intéressant, valorisant, digne, moral même (ils finissent par y croire à leur discours cynique appris par cœur). Et pourtant, par la magie d’une mise en scène, d’une progression de l’action et surtout par la force et la présence des cinq comédiens en tout point remarquables, Éric Forterre, Ludovic Molière, Hervé Blanc, Jean‑Claude Perrin et Patrick Bebi, on est étreint de compassion. Comme devant un morceau de la comédie humaine, si tragique…
Au scalpel
Car ce que montre Pommerat, c’est que ce job, qui bousille leur vie en leur enlevant tout espoir de stabilité, fonctionne seulement sur le mépris de l’autre, sur un rapport de domination où ils ne sont que d’éphémères et bien piètres dominants. Et pourtant, ils sont dignes, ils tentent de croire qu’ils forment une équipe solidaire… Fin du rêve : le commerce les écrase sans plus de pitié pour ses vaillants petits soldats que pour les acheteurs-chair à canon. Rien de plus et rien de moins. La vie des hommes comme un document sociologique. C’est noir et c’est magnifique ! ¶
Trina Mounier
la Grande et Fabuleuse Histoire du commerce, de Joël Pommerat
Avec : Éric Forterre, Ludovic Molière, Hervé Blanc, Jean‑Claude Perrin, Patrick Bebi
Collaboration artistique : Philippe Carbonneaux
Création lumières : Éric Soyer, assisté de Renaud Fouquet
Scénographie : Éric Soyer
Création costumes : Isabelle Deffin
Créations sonores : François Leymarie
Recherches sonores : Yann Priest
Musique : Antonin Leymarie
Construction décor et accessoires : Thomas Ramon-À travers champs
Création vidéo : Renaud Rubiano
Photo : © Élisabeth Carecchio
Production : Cie Louis‑Brouillard
T.N.P. • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Réservations : 04 78 03 30 30
Site : http://www.tnp-villeurbanne.com
Du 20 novembre au 1er décembre 2012 à 20 heures, samedi 24 à 15 heures et 20 heures
Durée : 1 h 30
De 8 € à 24 €
Tournée :
- du 1er au 3 octobre 2013 : Bruxelles (Belgique) – KVS (00 32 (2) 210 11 12)
- du 20 au 22 novembre 2013 : Saint-Ouen – espace 1789 (01 40 11 50 23)
- les 28 et 29 novembre 2013 : Martigues – Théâtre des Salins (04 42 49 02 00)
- les 5 et 6 décembre 2013 : Colombes – L’Avant-Seine (01 56 05 00 76)
- les 17 et 18 janvier 2014 : Tremblay-en-France – Théâtre Louis‑Aragon, scène conventionnée pour la danse (01 49 63 70 58)
- du 21 au 23 janvier 2014 : Annecy – Bonlieu, scène nationale (04 50 33 44 11)
- les 30 et 31 janvier 2014 : Cavaillon – Scène nationale (04 90 78 64 64)
- les 12 et 13 février 2014 : Bayonne – scène nationale Bayonne Sud-Aquitaine (05 59 59 07 27)
- du 18 au 21 février 2014 : Besançon – C.D.N. Besançon – Franche-Comté, en collaboration avec l’Espace, scène nationale de Besançon (03 81 88 55 11)
- du 11 au 14 mars 2014 : Tours – L’Olympia, C.D.R. (02 47 64 50 50)
- les 20 et 21 mars 2014 : Châtellerault-Accord – Nouveau Théâtre (05 49 93 03 08)
- les 28 et 29 mars 2014 : Blanc-Mesnil – Forum, scène conventionnée de Blanc‑Mesnil (01 48 14 22 00)
- les 15 et 16 avril 2014 : Nevers – maison de la culture (03 86 93 09 09)