« Laissez-vous embarquer pour une traversée de l’inouï »
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
Pas de grand rendez-vous public pour cette seconde édition, mais la Nuit du Cirque ne s’éclipsera pas. Elle brillera d’autres feux, allumés différemment dans la France entière et une partie de l’Europe. Les artistes vont se montrer et exposer leur travail : tout est prêt. Il suffira de se connecter du 13 au 15 novembre, pour les retrouver, avec leurs sourires, leurs efforts, leur détermination et leur créativité foisonnante, malgré notre ciel encore sombre.
« Le cirque n’est pas un art du divertissement. Le cirque de création est Art, avant tout. Un art protéiforme, sans tabou, rugueux, solidaire, contradictoire. Un art à haut risque selon les disciplines sollicitées, qui exige un sens puissant du collectif. Ce n’est pas un art neutre, aucun sujet, s’il en fait le choix, ne lui échappe ». Ainsi s’exprimait Philippe le Gal, directeur de Territoires de Cirque, et du Carré Magique à Lannion (Pôle National de Cirque de Bretagne), à l’approche de la première Nuit du Cirque, lancée le 15 novembre 2019. L’objectif de l’évènement était de montrer le chemin parcouru par le nouveau cirque émergé dans les années 70. Comme un coup de projecteur sur le cirque dit « de création ».
Cette nouvelle édition connaît, on s’en doute, les turbulences de notre automne abîmé. Elle affichait une programmation bluffante. Toutefois, l’association Territoires de Cirque ne s’est pas démontée. Avec une centaine de lieux mobilisés et 262 rendez-vous, la NDT aura bien lieu, en collaboration, pour l’international avec Circusnext et Circostrada, et sur trois nuits, plutôt qu’une.
Une Nuit réinventée, donc, avec un flux d’images exceptionnelles, en partie grâce à l’aide d’Arcena, (extraits de spectacles, teasers, interviews, cartes blanches, pastilles poétiques, portraits d’artistes, captations, documentaires etc.) et trois rendez-vous en live chaque soir, à 21 heures, pour « Les Nuits du Cirque improvisées ». Une web-tv animée par les artistes sera visible sur le site et les réseaux sociaux de l’événement et de ses partenaires.
Découvrir les artistes de façon plus intime
Passer ainsi du « tellement vivant » au « total numérique » est un défi de taille. Si la déception d’un rendez-vous physique manqué entre artistes et public est réelle, le format qui se dessine est néanmoins passionnant. Au-delà de la forme aboutie du spectacle, celui-ci permet de montrer au public internaute ce qu’il ne voit pas habituellement : les coulisses, le processus de création, le pourquoi du comment. À travers ce foisonnement d’images, les artistes se montreront autrement. Ceux-ci auront même l’occasion de parler comme jamais.
On ne résiste pas à la tentation d’en livrer un tout petit avant-goût. Juan Ignacio Tula et Justine Berthillot, actuellement en résidence à la Brèche de Cherbourg, évoqueront ce drôle d’agrès circulaire posé sur roulettes, à l’intérieur duquel ils vont évoluer pendant une heure (création du spectacle Tiempo de la compagnie 7bis ,en mars 2020 au festival Spring) : « j’ai fait tourner la roue cyr un peu comme un derviche tourneur dans Santa Madera ; ici, enfermés dans le cercle, dans un mouvement qui n’est pas loin de l’hypnose, on interroge un quotidien cyclique ».
Le Membre fantôme de la compagnie Bancale ne sera pas joué au Carré Magique de Lannion, mais Karim Randé, accompagné de Fabien Milet et Silvana Sanchitico (remplaçant Thibault Clerc pour l’occasion) expliquera comment refaire de la bascule après une amputation : « On ne parlera pas de handicap, mais de blessure. Dans le monde du cirque, c’est une compagne. Un jour, tu vas la rencontrer et tu vas faire un bout de chemin avec elle. Si tu ne l’acceptes pas, ne fais pas de cirque. Comment se réceptionner avec une seule jambe ? Eh bien, cela fait mal au dos ! ».
Mouroussia Diaz Verbèke, voltigeuse à la corde, évoquera son goût des mots, entendus, lus, écoutés, triés, mis bout à bout dans son spectacle solo Circus remix, qui devait être présenté à l’Académie Fratellini.
Sophia Perez, de sa belle voix posée, expliquera le credo de son spectacle Parfois ils crient contre le vent (compagnie Cabas) qui était programmé à l’Espace Houdremont : « Nous n’avons pas besoin d’être d’accord sur tout pour rire, débattre, s’amuser, réfléchir s’enrichir. Je nous invite à crier contre ce vent froid et insidieux qui s’engouffre entre nos doigts, nos cœurs, nos corps ».
Basile Forest, également en résidence à la Brèche, pour son solo Car tous les chemins y mènent, exposera son désir de mêler l’opéra (Carmen), à la matière circassienne. Le voir rouler et danser à terre avec son violon sur l’Amour est un oiseau rebelle est un grand moment burlesque à découvrir.
« Osez le cirque »
Cette Nuit du Cirque sera donc un formidable hommage au cirque et à ses artistes : en dépit de l’enchaînement si compliqué de leur calendrier, (confinement, entraînement, annulation, couvre-feu, re-confinement, annulation, entraînement), ils travaillent. L’évènement va les faire entrer dans une autre lumière que celle des feux de la rampe. Mais c’est déjà beaucoup en ce moment.
« Ce qui se prépare pour cette Nuit du cirque est joli et intéressant, avec toutes ces capsules d’artistes en résidence comme nous. C’est un très beau moyen de communiquer au public les étapes de la création, de l’intérieur d’un théâtre », conclut Antoine Linsale, du collectif de voltige aérienne Crazy R. « Notre présentation publique initialement prévue a été annulée bien sûr, mais le directeur artistique du Crabb, Jean-Marc Hélies, s’est mobilisé pour nous : nous sommes finalement restés une semaine en résidence et aujourd’hui nous serons filmés et interviewés. Une chance pour parler de notre travail et présenter une étape plus aboutie ».
Laissons les derniers mots à Philippe Le Gal : « Cette deuxième édition doit montrer l’immense diversité de cet art aujourd’hui au zénith de sa jeune histoire. Laissez-vous embarquer pour une traversée de l’inouï. Le cirque est l’art du risque, de l’impossible rendu possible. Le corps y est incarné, porté à l’incandescence, c’est une quête sans fin du dépassement de soi. Osez le cirque ! ». ¶
Florence Douroux
La Nuit du Cirque, une initiative de Territoires de Cirque, avec le soutien du Ministère de la culture
Les 13, 14 et 15 novembre 2020
Présentation par Philippe Le Gal et programmation détaillée : nuitducirque.com
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Nouveau rendez-vous : la Nuit du Cirque », par Léna Martinelli
☛ « Sublimer le cercle », par Florence Douroux
☛ « J’avais des petits rêves de sublimation pour chacun », par Florence Douroux