Sauvage
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Le Toboggan accueille une fois encore un spectacle de Sarkis Tcheumlekdjian, une réécriture du mythe de Médée à la lumière des crimes d’aujourd’hui contre les femmes.
La figure de Médée est dans la mythologie entre toutes une des plus monstrueuses : l’histoire débute à l’arrivée des Argonautes conduits par Jason en Colchide où ils cherchent à s’emparer par la force de la Toison d’or. Éperdument amoureuse de Jason, Médée va trahir son père et son pays et commettre, pour aider l’homme qu’elle aime, des crimes barbares auxquels son nom demeure attaché. Ainsi, elle n’hésite pas à découper le corps de son frère dont elle jettera les morceaux derrière elle pour protéger sa fuite, tue sa rivale en lui offrant une robe empoisonnée et, surtout, finit par tuer ses propres enfants, crime contre nature par excellence. Elle traîne donc derrière elle une réputation d’empoisonneuse, de magicienne et d’infanticide.
Il y avait certes beaucoup de matière théâtrale dans cette histoire déjà sanguinaire entre horreurs, passions et rebondissements. Sarkis Tcheumlekdjian s’en est emparé pour faire un détour par les camps de réfugiés d’aujourd’hui, et évoquer les crimes d’honneur dont les femmes sont les premières victimes un peu partout dans le monde. Il le fait avec intelligence en mettant en scène deux femmes aux prises avec les traditions et en traçant bravement leur cheminement tortueux vers la liberté. Au lieu de fustiger la violence des hommes, il montre le rôle des femmes, gardiennes du temple qui appliquent la loi des hommes avec une farouche détermination. Les femmes sont les premières exciseuses !
Violence des femmes, violences faites aux femmes
Son spectacle met donc en scène deux femmes, une victime et un bourreau. Une Médée des temps modernes qui doit expier de s’être vendue à l’ennemi et doit donc accepter le sacrifice de l’enfant qu’elle porte. Et, face à elle, celle qui doit appliquer la loi.
Sarkis Tcheumlekdjian excelle dans la représentation de mondes lointains : costumes superbes, colorés et fluides, dignes du musée des Arts premiers. Quant au décor, fait lui aussi de drapés et de transparences, il est simplissime mais évocateur des tentes de réfugiés dans lesquels l’auteur-metteur en scène situe l’action. Pas de doute, cet homme sait créer des images d’une grande beauté. La musique est une pulsation, un gong, un glas, quelque chose de très primitif, comme une pulsion vitale et guerrière…
Néanmoins, la magie n’opère pas comme à l’accoutumée. Comme s’il y avait un surplus de grandiloquence et de pathos dans le texte, trop de discours démonstratif, d’envolées lyriques. De même, on apprécie le travail des comédiennes, Catherine Vial et Anne Comte, qui prouvent dans ce spectacle qu’elles ont du métier (voix juste et forte, science des mouvements et du geste, présence incontestable), mais de nouveau, on peut déplorer une absence de subtilité et de retenue, une volonté illustrative qui tiennent l’émotion à l’écart. C’est dommage, car cette Passion de Médée ne manque pas, loin de là, de qualités artistiques, tant sur le plan de la dramaturgie que de la scénographie et du travail des comédiens… ¶
Trina Mounier
la Passion de Médée, de Sarkis Tcheumlekdjian
Cie Premier acte • 18, rue Jules‑Vallès • 69100 Villeurbanne
04 78 24 13 27
Mise en scène : Sarkis Tcheumlekdjian
Avec : Anne Comte et Catherine Vial
Régie lumières : Blandine Laennec
Régie son : Éric Dupré
Scénographie et costumes : Marie‑Pierre Morel‑Lab
Photo : © Jean‑Claude Nguyen
Soutiens : région Rhône‑Alpes / ville de Lyon / ville de Villeurbanne / Fineco Eurofinancement / commune de Lattes-Théâtre Jacques‑Cœur / Atrum de Tassin
Le Toboggan • 14, avenue Jean‑Macé • 69150 Décines
Réservations : 04 72 93 30 14
Le jeudi 6 janvier 2014 à 20 h 30
Durée : 1 heure
17 € | 15 € | 9 €