Un conte mené tambour battant
Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups
La compagnie La Briganderie s’empare du conte d’Andersen, « la Petite Sirène », pour en donner une vision originale, qui fait des clins d’œil au dessin animé de Walt Disney tout en s’en distinguant nettement.
La petite sirène rêve de découvrir le monde des humains, mais son père le lui défend. Elle ne montera à la surface que lorsqu’elle sera prête à tuer les hommes qui les menacent. Elle brave l’interdit et s’éprend du prince Romuald, qu’elle sauve de la noyade. Pour le retrouver, elle passe un pacte avec une sorcière : elle monnaye sa voix contre une paire de jambes, mais si elle n’a pas su séduire le prince en vingt‑quatre heures, alors elle mourra et deviendra écume.
Dès le début, Julien Köberich, metteur en scène et comédien, vient au-devant du public pour lui présenter le spectacle. Il précise que ce sont deux acteurs qui vont interpréter sept personnages, grâce à des masques. Il aurait pu ajouter que le décor, qui figure dans des harmonies de bleu et de vert quelque chose qui ressemble à la mer, est unique. Pourtant, l’histoire se déplace. Certaines scènes se jouent sur l’eau, d’autres dans le palais de Romuald, d’autres sur un bateau, d’autres encore sur la plage. La compagnie travaille donc avec une grande économie de moyens. Peu de comédiens, un seul décor. Mais c’est là sa force. En effet, elle est ainsi contrainte à une profonde inventivité. Les acteurs portent des masques. Ce ne sont pas des masques traditionnels, mais d’étranges bas découpés et cousus. Ils ne sont pas beaux : Freluquet a de grandes oreilles, la mère de Romuald des joues rebondies… Ils manifestent la théâtralité du spectacle, ils affichent son caractère artificiel. Ils rappellent au public qu’il s’agit de raconter une histoire et qu’il y a divers moyens d’y parvenir. Parfois, ce sont des marionnettes qui remplacent les comédiens. En effet, leur petite taille rend le décor maritime plus impressionnant. Au lieu que ce soit les vagues qui grossissent, ce sont les personnages qui rapetissent. Là encore, cette inversion met en évidence la fiction.
Le spectacle dit donc le plaisir de raconter une histoire, en se servant de tout ce que l’on a sous la main. Une bande Velcro, un vieux foulard, et c’est une perruque… Mais ce plaisir de la narration est porté avant tout par des comédiens extrêmement dynamiques. Dans cette perspective, on peut en particulier saluer la performance de Chloé Genet, qui joue la Petite Sirène, la mère surprotectrice du prince, Freluquet le froussard, ou encore la princesse du royaume d’à côté. En changeant de costume, elle change de voix et de gestuelle ! La légèreté et l’allant de ce spectacle résident aussi dans le mélange du théâtre, de la danse et des chants originaux, composés par Julien Köberich.
La mise en scène est donc variée et inventive, les comédiens la portent avec brio. On ne s’ennuie jamais dans ce spectacle. Et ce, d’autant moins qu’il produit des émotions multiples chez le spectateur. Tantôt on est ému, tantôt on rit. Car les effets comiques sont nombreux. On songe par exemple au duel à l’épée, sans épée, simplement mimé par les comédiens qui vocalisent les bruits des armes, ou encore à la danse de la séduction que la sorcière enseigne à la jeune sirène. Le clin d’œil au dessin animé fait également sourire quand la Petite Sirène cherche à découvrir à quoi peuvent bien servir les objets du quotidien que sont les couverts, le pain… Pourtant, cette adaptation est plus fidèle au conte d’Andersen que la plupart des réécritures pour enfants. Elle se termine mal. Le dénouement est dramatique et émouvant.
Le seul regret que l’on peut avoir avec ce spectacle, c’est qu’il est parfois si dynamique qu’il en est trop rapide. On aimerait que certaines scènes soient davantage développées. On s’interroge sur certains personnages : pourquoi la sorcière donne-t-elle le poignard à la Petite Sirène, parce qu’elle a pitié ou au contraire dans le but machiavélique qu’elle vive avec l’éternel remords d’avoir tué celui qu’elle aime ? On souhaiterait aussi que soit approfondie la question des relations parents-enfants. Le père de la Petite Sirène et la mère de Romuald sont, chacun à leur manière, très durs avec leurs enfants. Ils sont dans la contrainte, l’interdit, l’obligation. Les enfants sont dès lors forcés de désobéir. L’adaptation suggère-t-elle que grandir c’est désobéir, que l’on ne devient adulte qu’en affrontant ses parents ? Le temps qu’on y pense, le spectacle est déjà terminé ! Il est d’ailleurs étonnant que la comédienne revienne après la représentation pour répondre aux questions des enfants. Est-ce une façon de dire à demi-mot que le spectacle n’est pas très clair ?
La Petite Sirène est donc un conte enlevé, qui avance sur un rythme impétueux. Dynamique, drôle, émouvant, il emporte l’adhésion, même si les adultes aimeraient qu’il dure plus longtemps et qu’il développe certains aspects qui ne sont qu’ébauchés. ¶
Anne Cassou-Noguès
la Petite Sirène, d’après Hans Christian Andersen
Écriture et mise en scène : Anne‑Sophie Dhulu et Julien Köberich
Avec : Chloé Genet et Julien Köberich
Costumes : Émilie Duffossé
Création lumières : Magali Decoret
Scénographie : Marie‑Pierre Callies
Musique : Julien Köberich
Photo : © D.R.
À la folie Théâtre • 6, rue de la Folie‑Méricourt • 75011 Paris
Réservations : 01 43 55 14 80
Site du théâtre : http://www.folietheatre.com/
Du 6 avril au 2 juillet 2016, les mercredi et samedi à 15 heures (du lundi au vendredi à 14 h 30 pendant les vacances)
Durée : 55 min
Tarif adultes : 10 €
Tarif enfants : 8 €