Indigeste « bouillabaise »
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Talentueux spécialiste de l’oralité théâtrale, Serge Valletti est au programme des Nuits de Fourvière avec deux spectacles. « Monsieur Armand dit Garrincha » et la traduction-adaptation de « la Stratégie d’Alice », création héritée de « Lysistrata » d’Aristophane. Le premier, mis en scène par Patrick Pineau et interprété par Éric Elmosnino est une bouleversante réussite. Le second, porté au plateau par Emmanuel Daumas et quatorze comédiens déçoit beaucoup.
François Rabelais écrivait que « le gosier est la réunion de deux conduits par lesquels les bons mots sortent et par où les bons morceaux entrent ». Avec la Stratégie d’Alice, ce ne sont pas les trous, les fentes, les bouches et les orifices qui manquent, mais aussi les bites, les « popauls » et autres nœuds et pines. Des femmes d’ici et du vaste monde ont décidé de faire la grève du sexe jusqu’à ce que les hommes cessent de se faire la guerre. Des femmes de toutes origines, de milieux modestes, prêtes au jeûne sexuel pour tenter de stopper l’arrogance virile de leurs mecs, érudits en langage ordurier et sexiste.
Quand les bouches des personnages s’ouvrent, elles vomissent des stéréotypes de comptoir, quand elles « avalent » de rares propos humoristiques, elles se satisfont de peu. Valletti se veut proche de la culture populaire, parfumée aux épices de sa chère Marseille. Rien à dire ni à reprocher. Pourtant, tous les protagonistes de sa pièce tournent en rond dans l’espace de l’Odéon de Fourvière. Accumulation de situations répétitives, postures corporelles ressassées, voix arrachées et sans nuances. L’ennui finit par s’installer et s’étire pendant les deux heures et dix minutes de la représentation.
Gros texte + gros sexe + grotesque
Et Emmanuel Daumas dans tout ça ? Hasardons que la gaudriole potache l’a sans doute fait déraper. Gros texte + gros sexe + grotesque, voilà un cocktail assez indigeste. Le pire étant le risque de rendre superficiels le contenu libertaire de l’écriture de Valletti et l’interprétation des comédiennes et comédiens.
Un peu de mémoire devrait permettre à Valletti de se souvenir du génie de Dario Fo, maître incontestable de la tradition orale. Daumas serait bien avisé de se rappeler que Philippe Caubère aurait pu faire un époustouflant personnage de commissaire central et Éric Elmosnino, un magistral Patrick Lambroni, autre figure machiste aliénée par le sexe.
Au final, on quitte fatigué un spectacle dépourvu de tout érotisme et dont on n’est pas sûr qu’il n’irrite pas profondément les femmes qu’il prétend libérer du joug masculin. Coïto ergo sum ? Pas seulement. ¶
Michel Dieuaide
la Stratégie d’Alice, de Serge Valletti, d’après « Lysistrata » d’Aristophane
Mise en scène : Emmanuel Daumas
Avec : Olivia Côte (Alice), Judith Siboni (Victorine), Anne Suarez (Mireille Lambroni), Brahim Tekfa (Monsieur Lalouche), Gaël Leveugle (Monsieur Travers), Eddy Letexier (Monsieur Jean‑Georges), Nazareth Agopian (le Commissaire), Vincent Deslandres (le Ministre plénipotentiaire), Emmanuel Daumas (Patrick Lambroni), Magalie Levèque (Aïchina, deuxième fille), Jessica Deniaud (la Peul, troisième fille), Nicolas Pierson (première fille, l’Étrangère), Noé Reboul (l’Étranger, Ambrassador), Dimitri Kamenka (l’Étranger, Ambrassador), Lucas Sanchez (le N natif, Ambrassador)
Lumière : Bruno Marsol
Déguisements : Élise Kobisch‑Miana
Régie générale : Manuella Mangalo
Assistant à la mise en scène : Vincent Deslandre
Jacques Toinard : musique
Photo : © Loll Willems
Création : Nuits de Fourvière
Nuits de Fourvière • 1, rue Cléberg • 69005 Lyon
Billetterie : contact@nuitsdefourviere.fr
Tél. 04 72 32 00 00
Représentations à l’Odéon de Fourvière : les 22, 23, 24, 25 et 26 juin 2016 à 21 h 30
Durée : 2 h 10
Tarifs : 27 euros, 22 euros, 20 euros