« la Vénus à la fourrure », de Léopold Sacher-Masoch, Théâtre national de Bretagne à Rennes

la Vénus à la fourrure © Brigitte Enguérand

Une Vénus qui n’a pas séduit

Par Aurore Krol
Les Trois Coups

Le festival Mettre en scène, qui a lieu à Rennes du 11 au 22 novembre 2008, est l’endroit idéal pour tester des formes hybrides ou en périphérie du théâtre. Après s’être attaquée avec succès à « la Philosophie dans le boudoir » en 2006, Christine Letailleur a décidé d’adapter un autre des piliers de la littérature érotique, « la Vénus à la fourrure » de Sacher-Masoch. Une suite logique que l’on attendait avec beaucoup d’espoir.

Et cet espoir fut déçu. Il n’est pas simple d’adapter un texte non théâtral. Le pari aurait pu être relevé si les passages philosophiques n’avaient été aussi ouvertement didactiques. Si les acteurs avaient fait preuve d’un réel charisme. Si, pour évoquer le rêve, l’usage de micros ne m’avait pas semblé aussi contestable. Si le texte n’avait été surjoué jusqu’au grotesque, provoquant plusieurs fois des ricanements dans le public. Enfin, si les choix de mise en scène ne s’étaient pas lentement embourbés dans une posture mortifère. Éros et Thanatos, l’image est certes connue… Mais le texte original portait la jouissance au sommet, quand ici le jeu est frigide.

Le plateau est nu, un tabouret et un lustre comme uniques accessoires. Ce choix de l’épure semble a priori une base intéressante pour sublimer une œuvre qui fut un véritable brûlot dès sa parution en 1869, pour lui servir en quelque sorte d’écrin. Encore faut-il être à la hauteur de ce minimalisme, où chaque détail est exacerbé. Certaines scènes m’ont même semblé relever de la caricature, cela ne pardonne pas…

Je suis ordinairement sensible aux accents et aux variations de coloration que les comédiens peuvent donner à un phrasé. Mais ici l’effet ne servait pas le texte. D’origine polonaise, Andrzej Deskur déclame quelques passages dans sa langue d’origine et cela donne le frisson : cela touche réellement et charnellement. Mais, quand il revient au français, l’accentuation de sa prononciation (qui n’est pas sans rappeler les intonations propres aux films roses…) rend certaines répliques ridicules, un comble ! Il n’en est sans doute ni conscient ni responsable, cela dénote néanmoins une faiblesse dans la direction d’acteurs.

Quelques points positifs, tout de même. Les costumes sont superbes et évocateurs, entourant les comédiens d’une élégance raffinée. Mention spéciale à Valérie Lang, sublimée par des tenues sensuelles et une démarche des plus gracieuses. Sa présence distille une esthétique sombre et envoûtante comme l’instinct animal que rappellent les fourrures. Le jeu d’apparitions-disparitions à travers le drapé du fond de la scène est intéressant. Il suggère un enfouissement pulsionnel qu’il n’est pas possible de figurer. En effet, les scènes à proprement dites de flagellation ne sont pas montrées, et j’ai apprécié ce parti pris de Christine Letailleur. Certains gestes, certains rituels, doivent être gardés au secret pour conserver leur caractère sacré.

S’ouvrant et se fermant sur des réflexions philosophiques, ce théâtre est bien sûr politique. Il s’agit tout de même d’un homme qui choisit de devenir l’esclave consentant d’une femme dominatrice. Et ce choix est finalisé par la rédaction d’un contrat unissant et confrontant à la fois ces deux êtres. Les rôles traditionnellement accordés au féminin et au masculin sont donc bouleversés… mais sans élan, sans vertige, sans force. On reste dans une représentation figée comme les termes d’un contrat trop scrupuleusement respecté…

On aurait aimé être interpellé et bousculé, on applaudit mollement et on sort ennuyé et vaguement amorphe. Reste à souhaiter que ce spectacle s’affine et s’embrase au gré des représentations, et que les comédiens parviennent à une réelle justesse, à une maturité de ton. 

Aurore Krol


la Vénus à la fourrure (ou les Confessions d’un suprasensuel), de Léopold Sacher‑Masoch

Texte français d’Aude Willm paru en novembre 2008 aux éditions Les Solitaires intempestifs

Mise en scène, adaptation, scénographie : Christine Letailleur

Assistant à la mise en scène : Pier Lamandé

Avec : Valérie Lang (Wanda), Andrzej Deskur (Séverin), Philippe Cherdel (l’Ami), Maëlle Bellec (la Déesse), Dimitri Koundourakis (le Grec)

Lumière : Stéphane Colin

Son : Manu Léonard

Habilleuse : Bibiane Blondy

Régisseur plateau : Julien Le Moal

Valérie Lang est habillée par Adam Jones

Fourrures : Caloyanis

Photo : © Brigitte Enguérand

Production : Théâtre national de Bretagne, Rennes ; Théâtre national de la Colline, Cie Fabrik Théâtre, subventionnée par A.R.C.A.D.I.

Remerciements tous particuliers à Michèle Kokosowski, Andrzej Seweryn et Xavier de France, Jean‑François Sivadier

Remerciements aux ateliers Caraco et à l’association Parthenon

Avec l’aide de toute l’équipe du T.N.B.

Théâtre national de Bretagne, salle Gabily • rue Jean‑Marie‑Huchet, plaine de Baud • Rennes

Renseignements-réservation : 02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

Du 11 au 15 novembre 2008 à 21 heures

Durée : 2 h 10

Tarifs : de 17 € à 5 €

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