« L’Absolu », Boris Gibé, Scènes et Cinés, Les Élancées, Istres, BIAC

l-absolu-les-choses-de-rien-boris-gibe © Jerome Vila.jpg

Sables émouvants

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Dans ce solo, Boris Gibé livre une méditation poétique sur la condition humaine dont les images, saisissantes, nous imprégneront longtemps. Intense et profond, « l’Absolu » est très original. Radical aussi. Une expérience unique.

Du cirque dans un silo ! On retrouve une configuration de piste car dans cette tour de métal (9 m de diamètre et 12 m de haut), le public est placé autour de son centre, grâce à un double escalier hélicoïdal et des strapontins fixés à la paroi. Construit spécialement pour la création et itinérant, le Silo n’est pas qu’un dispositif exceptionnel. Ce chapiteau de tôle à quatre étages a déterminé la dramaturgie, une écriture circulaire, entre ballet aérien, théâtre et performance d’art contemporain. Ce n’est donc pas que du cirque et le choc ressenti est à la mesure de ce big bang spatial et sensoriel. En bousculant le rapport classique à la piste, ce cirque-là nous a chaviré !

Explorer le vide

Tout commence sous un ciel sombre, une voûte plastique se trouve souillée par un liquide verdâtre esquissant une forme abstraite, une sorte de paysage mouvant. Puis, le cercle se déchire. Suspendu à un harnais, un homme le traverse brutalement, dans une trombe d’eau. Le grand saut ! Avant de s’élancer vers les cieux, ce personnage énigmatique nous entraînera dans sa chute, entre ressassements et tentatives se suicide ratées. Car il y a peu d’échappatoires à ce huis clos. Comment se dérobera-t-il donc à son destin ? Au vide, si l’on fait écho au nom de la compagnie, Les Choses de rien !

© Jérôme Vila

Cet homme se noie dans le sable, s’enflamme, s’effondre. Il se débat, mais contre qui ? Contre quoi ? Entre liquides visqueux, sables mouvants, vortex de fumée, les éléments se déchaînent et même les anges y perdent leurs plumes (noires). Le silicium, le bidon d’essence, l’univers industriel, les technologies évoquent la crise climatique. Une planète détruite, le déluge, l’alunissage d’un homme bientôt confronté à d’autres menaces… Nous voilà projetés dans 20 000 lieux sens dessus dessous la terre !

Un poème visuel assorti de prouesses

Quoi qu’il en soit, l’homme semble pris au piège de ses ambitions : une quête d’absolu (la connaissance, la vérité, l’infini, l’idéal) ? Le texte fournit quelques repères. On comprend un désir d’immortalité. Le liquide serait alors amniotique, le cercle une membrane, la corde à laquelle est relié le protagoniste le cordon ombilical, les entrailles du silo (le ventre de l’univers) le lieu de toutes les métamorphoses et la cervelle, à l’extrémité opposée, un vaste champ des possibles ? La mythologie (Prométhée, Narcisse, Icare), Kafka, l’existentialisme… les références abondent.

S’agirait-il plutôt d’une allégorie de l’acte de création semé de doutes ? Enfant de la balle, Boris Gibé s’interroge beaucoup sur son activité. Amateur de cinéma, il avoue aussi avoir été inspiré par Andreï Tarkovski. C’est pourquoi, il a construit l’ensemble en trois parties : le miroir, le procès et le sacrifice. Sur Terre, sur la lune, au purgatoire, dans un utérus ou le cerveau en surchauffe d’un artiste, chaque spectateur peut donc livrer sa propre interprétation.

Nouvel espace de jeu, cette architecture tubulaire induit d’emblée un rapport à la verticalité. Propulsé par des mouvements spiralés, l’acrobate évolue entre chutes et élévations. Il disparaît, les dents grises, le teint blafard, pour mieux réapparaître, sous une carapace, toujours plus étrange. Tel le phénix, il ne cesse de renaître de ses cendres. Englouti dans les bas-fonds, régurgité, immolé, il fait face à des forces invisibles redoutables.

Que de prouesses ! Ce langage chorégraphique pousse le corps à ses limites physiques dans une poésie du mouvement à l’état brut. Et comment fait-il pour respirer ? L’Absolu est décidément pétri de mystères ! Mais l’interprète est à la hauteur des enjeux spectaculaires.

© Dmitrijus Matvejevas

Vertiges et appels d’air

La proposition en déconcerte certains, d’autant qu’elle monte crescendo en puissance. Entre échappées oniriques et chocs sensitifs, nous devons en effet nous adapter à ces changements brutaux de perspective. Déjà, notre position est inconfortable. En surplomb de la piste, on est amené à lever la tête et à nous contorsionner. Au bord du gouffre. Ensuite, Boris Gibé déconstruit les repères pour mieux déjouer la gravité, ne serait-ce que dans ses laborieuses ascensions. Enfin, la tension dramatique est palpable. Au plus près de ses pulsions, nous souffrons avec le personnage. Prêt à vaciller, on est comme aspiré dans le puits sans fin de ce monstre de ferraille, avant d’être tenté par une source enfin lumineuse.

© Dmitrijus Matvejevas

En plus d’être physique, l’expérience est aussi métaphysique. D’ailleurs, le dispositif, la mise en scène, les lumières et la musique confèrent à l’Absolu une dimension fantastique. Tandis que l’espace sonore est transpercé de mille sons, les trouvailles scénographiques sont nombreuses. Cette boîte à magie noire bouscule nos perceptions. Pour autant, la machinerie et les contraintes techniques ne pèsent pas, car les tableaux, à la beauté plastique inouïe, sont vivants et s’enchaînent avec fluidité.

Au-delà de la beauté formelle, nous pénétrons aisément dans les méandres obscurs de la pensée du protagoniste. Bien qu’en proie à ses démons, il est flamboyant cet antihéros dans son arène ! Mais attention, l’univers anxiogène, la puissance du propos et certaines images impressionnantes ne sont pas du tout adaptés aux enfants. 🔴

Léna Martinelli


L’Absolu, de Boris Gibé

Cie Les Choses de rien, avec l’aide de Si par hasard
Avec : Boris Gibé, en alternance avec Piergiorgio Milano et Aimé Rauzier
Regard dramaturgie : Elsa Dourdet
Regard chorégraphique : Samuel Lefeuvre et Florencia Demestri
Confection textile et costumes : Sandrine Rozier
Création lumières : Romain de Lagarde
Régie technique et plateau : Quentin Alart, Florian Wenger, Armand Barbet, Thomas Nomballais (en alternance)
Réalisation sonore et régie technique : Olivier Pfeiffer, en alternance avec Baptiste Lechuga et Matthieu Duval
Scénographie : Clara Gay-Bellile et Charles Bédin
Architectes associés : Clara Gay-Bellile et Charles Bédin
Ingénieur structure : Quentin Alart
Constructeurs : Clément Delage, Florian Wenger, Jörn Roesing
Durée : 1 h 10
Conseillé à partir de 10 ans

Pavillon de Grignan • 13800 Istres
Du 31 janvier au 11 février 2023

Dans le cadre du festival Les Élancées, 25e édition du 31 janvier au 11 février 2023, organisé parScènes & Cinés, scène conventionnée Art en territoire et dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts du Cirque, 5édition du 12 janvier au 12 février 2023

Tournée ici :
• Du 25 au 29 avril et du 2 au 6 mai 2023, UP – Circus & Performing Arts, dans le cadre de Hors Pistes, organisé par Les Halles de Schaerbeeck, à Bruxelles (Belgique)
• Du 16 au 27 mai, Le Manège, scène nationale Maubeuge (59)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs rêves, de Boris Gibé et Florent Hamon, par Céline Doukhan

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