« l’Amant », de Harold Pinter, le Lucernaire à Paris

« l’Amant » © Marc Enguérand

Liaisons dangereuses ou drame bourgeois ?

Par Estelle Gapp
Les Trois Coups

Dans la petite salle du Lucernaire, au doux nom de « Paradis », « l’Amant » de Harold Pinter ravive les flammes de la passion. La compagnie Patrick-Schmitt dissèque le sentiment amoureux dans un duel intense et pervers, où le couple se condamne à l’enfer du jeu. Mais dans ce théâtre de mœurs, le corps, paradoxalement, semble entravé. Censure bourgeoise ou parti pris masochiste ?

Dans un loft au design impeccablement froid – une épaisse moquette blanche, deux meubles noirs –, une femme se prend au jeu : déshabillé fleuri, cigarette, whisky. Femme fatale, femme adultère, elle ressemble à une actrice de cinéma. L’intensité de son regard rappelle celui de Fanny Ardant dans l’un des courts-métrages du film Paris je t’aime : un autre jeu de l’amour et du hasard, entre deux personnages qui se révéleront être des comédiens de théâtre.

Tout est donc faux, et vrai à la fois, entre cet homme, Richard, qui tolère les infidélités de sa femme, et Sarah, son épouse, qui reçoit, plusieurs après-midis par semaine, la visite de son amant, Max. Sur le plateau, les comédiens excellent dans le faux-semblant. Volontairement distancée, l’interprétation des premières scènes donne la mesure du drame conjugal, où une seule règle s’impose : sauver les apparences. Mais c’est justement lorsque les conventions – sociales, théâtrales – vacillent que leur jeu prend enfin corps : on frémit aux élans de violence de Richard, menaçant sa femme de lui trancher la gorge. On se révolte avec Sarah, épouse dévouée et recluse, condamnée à son rôle domestique : « Qu’y a-t-il pour le dîner ? — Oh, je n’ai même pas eu le temps d’y penser ».

Contre l’usure des sentiments, la maîtresse de maison se transforme alors en maîtresse idéale : robe-fourreau, talons aiguilles, cravate de cuir. Mais la femme soumise s’enferme dans un autre rôle caricatural : celui de la « putain », aux tentations sadomasochistes. Dans leurs jeux érotiques, usant des fantasmes les plus communs (« Vous avez du feu ? »), le couple finit par se perdre. Entre le mari et la femme, entre l’amant et la maîtresse, c’est la confusion des genres. « Je pourrai peut-être rencontrer ton mari […] tu crois qu’on s’entendrait ? » demande Max/Richard, apparemment déstabilisé. Elle-même ne sait plus qui elle est : « Dolorès », « Marie », « Sarah » ? Pris dans le labyrinthe de leurs fictions intimes, le couple s’enfonce dans un jeu dangereux, destructeur, qui les mènera au bord de la folie et du meurtre.

S’ils assument avec subtilité toute l’ambiguïté du texte, on regrette que les comédiens s’enferment dans un jeu trop cérébral, dont ils n’échappent que pour incarner des personnages stéréotypés. Alors que la pièce de Harold Pinter dénonce l’oppression des codes sociaux, la mise en scène multiplie les clichés sexistes : lui, guindé dans sa respectabilité d’homme d’affaires, elle, parée d’une dignité toute bourgeoise ; lui, l’amant prédateur ou impuissant, elle, la maîtresse soumise ou dominatrice. Bien sûr, tout cela est n’est que jeu dans le jeu. Mais si Pinter a voulu ce théâtre (de mœurs) dans le théâtre, on ne ressent pas assez la violence du désir et de la frustration, l’excitation paradoxale de la trahison. Même dans la scène, trop timide, de la « danse » érotique, les deux partenaires restent prisonniers d’un jeu tendu, retenu, qui contraint les corps au lieu de les étreindre. Le temps d’une séquence vidéo, ils sont même physiquement absents, bannis au profit de l’image. Sauver les apparences ? disait Richard. Pour le couple marié, comme pour le public, la promesse de « liaisons dangereuses » s’évanouit alors en un drame trop bourgeois. 

Estelle Gapp


L’Amant, de Harold Pinter

Cie Patrick-Schmitt • La Forge • 19, rue des Anciennes-Mairies • 92000 Nanterre

Tél. | télécopie : 01 47 24 78 35

www.laforge-theatre.com

contact@laforge-theatre.com

Mise en scène : Patrick Schmitt

Avec : Emmanuelle Meyssignac, Patrick Schmitt

Création costumes : Nadège Gaubour

Création sonore : Fabienne Guedy

Photo : © Marc Enguérand

Le Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris

Réservations : 01 45 44 57 34

Du 3 septembre au 25 octobre 2008, du mardi au samedi à 21 heures

Durée : 1 h 15

30 € | 20 € | 15 € | 10 €

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