Ce spectacle tient de la magie, de l’évidence
Par Élise Noiraud
Les Trois Coups
Fred Pellerin a choisi le Théâtre du Petit-Saint-Martin pour ses dates parisiennes. L’étroite rue René-Boulanger offre un accueil sombre, et c’est un peu dubitatif que l’on descend dans la salle. Mais l’espace qui s’offre à nos yeux est une belle surprise. Un plancher vaste, chaleureux, que de belles lumières éclairent doucement. Juste ce qu’il faut de public pour se sentir entouré, mais pas noyé. Assise, j’attends un vieux monsieur à moustaches, chapeau, et pipe. Un conteur québécois, en un mot. C’est un jeune homme qui déboule sur scène. Bien loin de l’image qui s’était formée dans mon esprit étroit de Française. Presque un enfant. Lunettes rondes, air rigolard, pantalon à carreaux, il emplit instantanément la salle de son accent et de sa voix chaude. Et nous emmène avec lui, durant presque deux heures, dans un spectacle humain, intelligent, drôle, profond. Un spectacle rare. Vraiment rare.
Est-ce que ça tient à ce foutu accent, justement, qui nous rend tout Québécois invariablement sympathique ? Est-ce dû à l’air poupon de Fred Pellerin ? Ou à l’étonnante maturité qui émane de ses mots ? Ou bien encore à l’incroyable chaleur que dégagent une guitare et un banjo posés près d’une chaise, sur un joli plancher ? Je ne sais pas. Nom d’une pipe, je ne sais pas. Mais ce qui se passe sur scène avec ce jeune homme tient de la magie. De l’évidence. Il entre, se saisit du micro, commence à chanter et, dès les premiers mots, on sait qu’on ne sortira pas indemne de ce spectacle.
Pourtant, on pouvait craindre le côté folklorique en allant voir ce conteur. Un conteur québécois qui raconte les histoires de son village, Saint-Élie-en‑Caxton, en n’hésitant pas à sortir l’harmonica pour nous chanter des chants populaires, ça risquait de sentir un peu le sirop d’érable d’exportation, non ? Mais, dès les premiers mots, la moindre poussière de doute est balayée. Si Fred Pellerin nous parle de ses origines, de son village et de ses légendes, ce n’est pas pour l’anecdote. C’est parce que, pour lui, ça semble vital. Et si ça marche autant, c’est parce qu’il rejoint mystérieusement chacun d’entre nous dans quelque chose de très humain.
Cette humanité tient probablement aussi à la grande complicité que le conteur parvient à établir avec son public. L’impression étonnante qu’il parle à chacun, intimement, doublée de la belle sensation d’être ensemble, vraiment ensemble, et de vivre un moment privilégié qui fait tomber les pudeurs. « Tu comprends, Paris, ce que je veux dire ? », voilà les mots qui rythment les récits de Pellerin. Des mots sincères, tant on le sent habité par l’envie de nous faire partager ses histoires, d’être reçu, entendu. Un vrai échange se joue, une vraie convivialité émerge. S’il est seul en scène, jamais le conteur ne se laisse emmener dans des dérives narcissiques. Il est un passeur, et – en cela – il est porteur de ce qu’il y a de plus beau, de plus précieux dans la tradition orale.
Mais il ne faudrait pas omettre l’essentiel : ses histoires. Des histoires à tiroirs, qui se font écho, se répondent. Fred Pellerin semble tirer un fil sans être jamais sûr de là où ça va l’amener. Quel plaisir de le voir se perdre, tourbillonner au milieu de tous les personnages qu’il a convoqués sur le plateau. Des personnages que l’on finit par voir réellement, par aimer, par attendre, et par être heureux de voir revenir à l’histoire suivante. Le moindre détail donne lieu à mille développements, précisions, improvisations, devant un public hilare. Un rire juste, bon, salvateur, qui répare les adultes que nous sommes, car il rappelle mystérieusement les rires sincères de l’enfance. Un rire qui nous fait briller les yeux.
Bien sûr, cela tient au rythme impeccable de ce spectacle, au sens des ruptures de Fred Pellerin, à sa façon d’installer des silences juste là où il faut. À son talent de narration doublé d’un fabuleux sens de l’autodérision. Tous ces ingrédients qui font que j’ai ri comme je n’avais pas ri depuis longtemps. Mais ce spectacle n’est pas une recette. C’est un cadeau. Un vrai beau cadeau. D’une générosité à la fois éclatante et simple. Simplement humaine. ¶
Élise Noiraud
l’Arracheuse de temps, de Fred Pellerin
Contact tournée : Azimuth Productions
01 44 79 00 36
Mise en scène : Fred Pellerin
Avec : Fred Pellerin
Son et lumières : Steve Branchaud
Théâtre du Petit-Saint-Martin • 17, rue René-Boulanger • 75010 Paris
Réservations : F.N.A.C. – Ticketnet
Du 12 au 22 novembre 2008 à 20 h 30
Durée : 2 heures
18 € | 15 €