Très bon-imenteur
Laura Plas
Les Trois Coups
Spectacle forain porté par un interprète aux milles tours, Lazarus des Chevaliers de l’industrie nous dupe magnifiquement, nous faisant passer comme par magie du rire à l’effroi, de la stupéfaction aux larmes : l’illusion tragique ?
Ils sont quatre (voire cinq), comme les mousquetaires, mais eux se nomment les Chevaliers de l’industrie. Retenez ce nom. Ces artistes-là ont déjà fait parler d’eux à Charleville, à La Villette ou au festival Marto et on leur devine de beaux lendemains. Ils sont quatre mais, touche-à-tout, et par-là, multiples et comme démultipliés.
Dans Lazarus, on est saisi par le talent d’Antonin Dufeutrelle à la fois comédien habité, ventriloque parlé et manipulateur contredit. Incarnant le bonimenteur Lazarus, il est seul en scène et habite cette dernière avec une énergie presque perturbante. Il électrise la salle.
Car Lazarus est un spectacle forain où le rapport avec le public est fondamental. D’ailleurs, on nous fait passer parfois très (trop ?) violemment de la pénombre sûre de la salle à une lumière crue qui nous révèle à nos risques et périls. Car qui sait si Lazarus ne nous choisira pas pour être le partenaire d’un tour de magie, d’un numéro plus ou moins effrayant ? Derrière nos yeux fermés, d’autres scènes obscures s’ouvrent ainsi où se bousculent comme des numéros des émotions et interrogations. Petit échantillon de propos furtifs échangés dans la salle et surpris à la volée : « Non, mais c’est pas possible, il a un complice ! », « Est-ce qu’il fait exprès ? », « J’ai peur ».
Sous les paillettes, les larmes du clown ?
Dansant en funambule sur nos cordes sensibles, le spectacle s’avère, en dépit de quelques longueurs liminaires, très bien écrit (par Gabriel Allée) et mis en dramaturgie (par Estelle Delville). Au sortir de la salle, on entendra sans doute autrement le boniment initial de Lazarus, son obsession de l’organisation. En effet, la fin du spectacle nous le fait revivre autrement. Et cette fin est par ailleurs saisissante. L’espace s’y réduit, comme le spectacle se recentre sur le jeu de l’acteur. Lazarus se retrouve seul : en pâture pour ses souvenirs. On pensera peut-être à Pascal : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. »
C’est pourquoi les ors du cirque sont désormais dans l’ombre, le chapiteau s’est déglingué. Sa belle scénographie faisait émerger la poétique d’un cirque pauvre, fini, enterré par d’autres arts, comme dans Bêtes de Foire ou encore dans le si beau film d’animation de Sylvain Chomet : L’Illusionniste. Or, ce déclin-là en annonçait un autre.
Show must go on !
On ne peut qu’admirer cette beauté passée, comme on regarde Fosco, marionnette plus qu’émouvante, créée par Caroline Dubuisson. De fait, Fosco, nous voudrions, comme Lazarus, le prendre dans nos bras, le berçant, nous berçant d’illusions. Ses grands yeux noyés d’enfance nous rivent au spectacle, nous le font suivre avec empathie. Nous voudrions le protéger. Nous souhaiterions que sa vie ne dépende pas de la main de son grand frère manipulateur. Comme Lazarus, nous refusons de le voir partir, redevenir une chiffe sans vie.
À la manière de Kantor ou plus près de nous, Alice Laloy ou encore Giselle Vienne, les Chevaliers ont très bien compris le rapport qu’entretient la marionnette à l’enfance, mais aussi à la mort et à la douleur. Une marionnette peut tout endurer : même les lubies spectaculaires d’un grand frère « cassé dans sa tête ». Journal d’un fou, Lazarus est en ce sens aussi une histoire d’amour fou. L’amour nique la mort. Que la fête continue, elle est si bouffonne, elle a tant de panache ! Demain, nous pleurerons peut-être entre deux grands éclats de rire.
Laura Plas
Lazarus, de la cie Les Chevaliers d’Industrie
Site de la compagnie
Écriture et magie : Gabriel Allée
Mise en scène et dramaturgie : Estelle Delville
Avec : Antonin Dufeutrelle
Durée : 1 h 10
Dès 13 ans
Théâtre Expression 7 • CCM Jean Gagnant • 7, avenue Jean Gagnant • 87000 Limoges
Le 14 novembre 2024
Photos : © Thierry Laporte